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Publié le 09 sep 2024 - Mis à jour le

Août-Septembre 1944, le maquis d'Erloy

Maquis de la vallée de l’Oise constitué au début de l’année 1944, le maquis d’Erloy sera confronté au repli allemand au début du mois de septembre 1944 et devra y faire face, contribuant à la Libération de son territoire, non sans pertes, ainsi que le rappelle la stèle qui rend hommage aux morts du maquis.

 La structuration de la résistance en Thiérache

A la fin de l’hiver 1944, il ne fait plus aucun doute que le printemps s’accompagnera d’un débarquement allié sur les côtes françaises, premier pas vers la Libération de l’Europe. Par conséquent, dès le mois de mars 1944, les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne, rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) Jean Marie de Sarrazin (1911-1972), constituent cinq groupements dans le département afin d’organiser l’action des Forces Françaises de l’Intérieur naissantes aux côtés des alliés le moment venu. Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanant du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront combiner l’action des groupes de résistance.

Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise à renforcer l'efficacité de la résistance en vue de la Libération. C’est ainsi que le Groupement C voit le jour, sous la direction du capitaine Jean Merlin, couvrant l’arrondissement de Vervins. Rapidement celui-ci fédère la plupart des groupes de résistance, notamment dépendant de l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.) dont il fait lui-même partie, et de l’Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A.), les rapports avec les Francs-Tireurs et Partisans Français (F.T.P.F.) étant plus tendus. Au sein du Groupement C, les groupes s’organisent en vue de la Libération, mais doivent aussi faire face à la nécessité d’accueillir des réfractaires au Service du Travail Obligatoire mis en place par l’Etat français, et c’est ainsi que les premiers maquis voient le jour dans la géographie de forêts et de bocages thiérachiens si propice à la clandestinité.

C’est le cas du Maquis de la Forêt du Régnaval, également appelé « Maquis d’Erloy » de par la proximité de ce village, qui va se constituer à l’été 1944 sous la direction du lieutenant puis capitaine Marc Lavigne, 34 ans, alors le chef du secteur O.R.A de « Guise-Périphérie ». C’est lui qui rédigera après le conflit, l’historique du maquis qui constitue l’une des seules sources principales sur l’histoire des hommes qui le composèrent.

La constitution du maquis de la forêt du Régnaval

A l’origine, le maquis qui se constitue dans la forêt du Régnaval était destiné d’après le capitaine Lavigne, à accueillir les réfractaires au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) et offrir une base de repli aux résistants qui risqueraient d’être arrêtés au moment de la Libération. Cette forêt avait en effet été choisie sur les recommandations de l’adjudant-chef Guy Dournelle alias « Dassy », car disposant d’une bonne situation, à proximité d’une ferme isolée (la ferme Hollande) qui pourrait servir de point de ralliement. Par ailleurs au cœur d’un territoire boisé et parsemé de nombreuses haies, la défense contre une attaque allemande y serait plus aisée et le refuge sûr, en hauteur, permet aux guetteurs de voir venir un adversaire. Qui plus est la forêt est parcourue par cinq ruisseaux et on y trouve plusieurs sources, ce qui permettrait un approvisionnement en eau. Enfin, l’aide susceptible d’être apportée par la majorité de la population locale avait achevé de convaincre de la pertinence de ce choix. Un groupe O.R.A. y est créé, avec pour chef Claude Cauchy puis Pierre Chauderlier, et jusqu’en juin-juillet 1944, l’activité du maquis comprend 4 maquisards et 11 sédentaires locaux, qui se contentent de prévoir les conditions d’accueil, de rechercher et de stocker les matériels et les vivres.

La forêt du Régnaval
La forêt du Régnaval


Le 20 juillet 1944, le capitaine Malecot, chef départemental O.R.A., et le D.M.D., le commandant De Sarrazin, demandent au lieutenant Lavigne, promu pour l’occasion capitaine, de faire du maquis d’Erloy une structure logistique susceptible d’organiser des unités combattantes. Le moment venu, leur mission serait de saboter les lignes téléphoniques, les voies ferroviaires, et multiplier toutes les initiatives pour démoraliser les troupes allemandes avant de passer à la lutte armée ouverte à l’approche des troupes alliées. La question de l’armement, dont le manque est partout criant, est immédiatement soulevée par le capitaine Lavigne, et un parachutage est promis. Le lendemain, le capitaine Lavigne nomme immédiatement deux chefs de sections : le sous-lieutenant Albert Janeau et l’adjudant-chef Norbert Dorigny et commence à rassembler des effectifs qui pourraient être mobilisés le moment venu, épaulé dans cette tâche par Guy Dournelle pour l’organisation logistique indispensable à l’installation d’un maquis.

Les volontaires que le capitaine Lavigne parvient à rassembler proviennent alors de toutes les couches sociales : ouvriers agricoles et d’usines, agriculteurs, fonctionnaires et militaires (gendarmes), professions libérales. Il y aura aussi trois femmes. Durant l’été 1944, Guy Dournelle renforce les conditions d’accueil du maquis (matériel de campement notamment), améliore le ravitaillement en vivres (dons, réquisitions et prises de cartes d’alimentation dans les mairies) ainsi que l’habillement constitué de treillis bleus, et constitue même un groupe sanitaire avec un médecin, le docteur Tavernier, deux infirmières, Paule Loiseleux et Denise Soenen, et un fourgon aménagé en ambulance. Mais pour se préparer au combat il faut surtout des armes, et depuis la destruction du stock du maquis de La Coupille le 7 juillet 1944, les armes disponibles se font rares dans la vallée de l’Oise. Au milieu du mois d’août 1944, le capitaine Lavigne rend compte au chef départemental qu’il a pu rassembler les effectifs demandés (environ 85 hommes et femmes), mais qu’il ne dispose d’aucun armement valable. Faute d’un armement suffisant, les résistants du maquis d’Erloy ne participent donc que peu aux actions menées par la Résistance depuis le mois de juin 1944, bien qu’ils participent à quelques sabotages qui permettent de renforcer la cohésion, l’instruction et l’entraînement des groupes.

Le maquis prend de l’envergure

C’est à partir du 11 août 1944 que la situation du maquis d’Erloy va considérablement changer. En effet, un train de prisonniers russes est bombardé à Marle et de nombreux prisonniers en profitent pour s’évader et se dispersent dans la campagne. Pris en charge par les résistants, un groupe de 60 évadés arrive le 12 août près d’Erloy, conduits par le sergent-chef Lalouette (sous-officier de réserve). N’ayant d’autre refuge suffisamment sûr pour ces évadés blessés, affaiblis et fatigués que la forêt du Régnaval, Pierre Chauderlier, qui commande le groupe F.F.I. (O.R.A.) d’Erloy, décide alors de les installer à l’emplacement prévu pour le maquis. Dans les jours qui suivent d’autres prisonniers russes évadés les rejoignent, et ce sont bientôt 127 russes commandés par un capitaine et un lieutenant qui prennent leurs quartiers dans la forêt, régulièrement visités par le docteur Tavernier et le docteur Sablon.

Sous la responsabilité du sergent-chef Lalouette qui parle allemand et peut échanger avec les officiers russes, le « maquis russe » voit ainsi le jour, mais compromet grandement la possibilité de mobiliser le maquis O.R.A. le moment venu, puisque les installations et les vivres rassemblées depuis deux mois vont devoir servir plus tôt que prévu. Sans armes et proche du village d’Erloy, le maquis russe pourrait par ailleurs constituer une cible facile pour les forces d’occupation allemandes s’il venait à être repéré. Par conséquent, le 16 août 1944, le capitaine Lavigne, après s’être rendu compte par lui-même des risques encourus, décide d’installer le maquis russe plus profondément dans la forêt, cinq réfractaires au S.T.O. devant maintenir les liaisons entre la résistance et le maquis russe. Légitimement inquiets pour leur sécurité, les officiers russes ne pourront toutefois recevoir que 12 fusils et 8 pistolets-mitrailleurs des résistants qui manquent déjà eux-mêmes cruellement d’armement, mais le 28 août, ils auront toutefois l’occasion de récupérer sans combat l’armement et le véhicule d’un groupe de six soldats allemands attablés au café d’Englancourt, non sans les avoir faits prisonniers par la même occasion.

« A la fin de l’envoi, je touche »

L’emplacement prévu pour le maquis O.R.A. désormais libre, le rythme des préparatifs pour l’équipement des groupes de combat s’accélère en quelques jours, tandis qu’il faut en parallèle approvisionner le maquis russe. Mais le temps presse, car les troupes alliées progressent de jour en jour. Le 25 août, Paris est libérée, toutefois le temps de la mobilisation du maquis n’est pas encore arrivé. En effet, les ordres que reçoivent les F.F.I. sont alors clairs : la circulaire n°10 du 6 juillet du chef départemental de la Résistance, le commandant De Sarrazin, précise clairement dans quel cadre le combat contre les troupes allemandes devra être engagé par tous les groupes de F.F.I. :

« Quand les troupes alliées seront à moins de 60 km de notre zone et au fur et à mesure que cette distance diminuera, notre action elle-même variera et de forme et d’intensité. Orientée initialement sur les destructions, elle sera dirigée, par la suite un peu plus vers l’aide directe aux troupes alliées puis diminuera beaucoup lorsque nous serons dans la zone de 5 à 10 km en arrière du front (côté allemand) puis brusquement atteindra son maximum avant la jonction aux troupes alliées. Il est évident que cette action sera conditionnée par l’attitude de l’ennemi et qu’en cas de retraite de ce dernier, notre rôle sera beaucoup plus agressif à la condition d’avoir des munitions. »

Par conséquent, il faut attendre la diffusion d’un message spécifique sur les ondes de la B.B.C. avant de réunir le maquis et le lancer dans la guérilla. Le 30 août 1944, le message tant attendu, extrait d’une tirade de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, est diffusé à la radio : « A la fin de l’envoi, je touche ». C’est le signal : les résistants doivent prendre le maquis.

André Cornu témoignant de son
histoire de résistant en 2016

 

Le dernier d’entre eux, André Cornu, décédé en 2018, se souviendra :

« Suite à l’appel du général de Gaulle mobilisant tous les maquisards pour se rendre au combat, nous sommes partis de Guise à six heures du matin avec cinq camarades, tous des volontaires et conscients de rendre service au pays. La peur, on ne la connaissait pas. J’allais avoir 19 ans. La route, à travers les petits chemins et pâtures, pour se rendre à Erloy, semblait longue. Il fallait plus de 20 kilomètres pour s’y rendre. À tout moment on pouvait tomber sur des Allemands : être arrêtés, contrôlés, voire même fusillés. Une chance, le parcours s’est effectué sans embûche. »

Au cours de la nuit, tous les volontaires rassemblés depuis deux mois par le capitaine Lavigne rejoignent le maquis et les unités s’organisent : 2 sections à 2 groupes de 15 hommes sont formées, l’une par le sous-lieutenant Albert Janeau et l’autre par l’adjudant-chef Norbert Dorigny, soit un total de 60 hommes, auxquels s’ajoutent un groupe de commandement et liaisons de 8 à 10 hommes conduits par le capitaine Lavigne, et le soutien logistique, l’intendance et le service de santé de 10 à 15 hommes et femmes.

Si les groupes se constituent rapidement, l’appel au maquis est également entendu par beaucoup d’autres résistants, et le 31 août, des résistants de « Guise-Ville » non-prévus dans l’effectif normal du maquis affluent vers le lieu de rassemblement, la ferme Hollande. Si certains sont armés et peuvent être incorporés, que faire des autres dont certains peuvent être des infiltrés des forces de répression de Vichy ou de la police allemande ? La décision est prise de renvoyer les plus âgés chez eux et de ne garder que les éléments sûrs sous la conduite de sous-officiers d’active ou de réserve expérimentés qui les ont également rejoints. L’adjudant Emile Ribeaux, l’aspirant René Delebut ou encore le sergent-chef Leleu constituent ainsi des sections, assistés de volontaires qualifiés comme Claude Alluchon et Marian Szablenski.

Mais comme pressenti depuis le mois de juillet 1944 par le capitaine Lavigne, c’est l’armement qui fait toujours cruellement défaut pour l’ensemble des effectifs qui se rassemble désormais, bien qu’un des résistants, Georges Alluchon, ait amené quelques armes dans un véhicule. Il faut attendre le 31 août dans la soirée pour qu’un véhicule venant d’Etreux apporte 3 fusils-mitrailleurs, 6 pistolets-mitrailleurs et 23 fusils, qui ne couvriront d’ailleurs pas les besoins, et nécessiteront d’être dégraissés et assemblés avant d’être utilisables, puisque provenant directement d’un parachutage. Avant la tombée du jour, les maquisards commencent donc à tout nettoyer et assembler les armes, mais ne peuvent le poursuivre de nuit, les bougies risquant d’incendier la paille dans les granges, et donner l’alerte aux patrouilles allemandes dans la région.

Le maquis d’Erloy face aux troupes allemandes

Aux premières lueurs du jour du 1er septembre 1944, les évènements vont se précipiter pour les maquisards encore installés dans la ferme Hollande, attendant d’autres livraisons d’armes hypothétiques. Dès 8h, les guetteurs placés à l’entrée du village d’Erloy signalent l’arrivée d’un détachement allemand avec deux blindés. L’ordre de repli vers la forêt est alors immédiatement donné, et tout le matériel important est emmené dans les bois par les maquisards, sous la protection du seul fusil-mitrailleur en état de fonctionner, servi par l’adjudant Ribeaux. Pendant ce temps, tout ce qui ne peut être transporté (les voitures notamment) est camouflé. Un quart d’heure plus tard, la présence des soldats allemands dans Erloy est confirmée par une patrouille. Il semble alors que ces soldats recherchent des résistants après un accrochage qui a eu lieu entre Saint-Algis et Erloy. Le détachement allemand ne progresse pas jusqu’à la ferme mais découvre en mairie d’Erloy des tenues de F.F.I. et prend en otages une trentaine d’habitants qui sont enfermés dans une grange.

Vers 9h, une voiture allemande se dirige vers le maquis et s’arrête devant les guetteurs Claude Alluchon et Marian Szablenski qui tirent : 3 soldats allemands sont touchés mais la voiture repart. Peu après, une troupe allemande à pied tente de s’infiltrer en forêt mais se heurte aux sentinelles russes et l’un de ces derniers nommé Zelio est tué tandis qu’un soldat allemand est tué et un autre blessé. Pour les maquisards de l’O.R.A. comme pour les Russes, la situation est alors critique et une attaque massive est à craindre, c’est pourquoi le sergent-chef Lalouette et les officiers russes décident d’évacuer leur campement. Dans leur repli précipité, ne pouvant les emmener avec eux, les Russes commettent cependant un crime de guerre en jetant une grenade dans la tente où ont été installés six prisonniers allemands : trois sont tués et les trois autres blessés.

Vers 10h, les maquisards reçoivent un renfort de poids avec l’arrivée de 24 prisonniers nord-africains libérés par les FFI de Guise et convoyés par Albert Janeau et Georges Delaplace. Parmi eux les noms de Saïd Benkirat, Saïd Dhaini ou encore Mohamed Latreche sont connus au sein des archives militaires, mais il n’a pas été possible de retrouver les autres noms de ces prisonniers libérés. Leur appoint permet de constituer des groupes qui renforcent les sections O.R.A. mais la principale inquiétude des maquisards perdure néanmoins : que font les Allemands repérés dans Erloy ? Les deux infirmières Paule Loiseleux et Denise Soenen se portent alors volontaires pour effectuer une reconnaissance et rapportent bientôt des renseignements : les Allemands sont en train de miner le pont qui est gardé par une trentaine d’hommes avec deux blindés. Un autre groupe garde la grange où sont enfermés les otages.

Manquant d’armes et de munitions et ne pouvant intervenir sans risquer la vie des otages, les maquisards ne peuvent rien entreprendre à Erloy, mais vont pouvoir agir dans le village voisin d’Englancourt. A 10h30, Guy Dournelle et son groupe informe le capitaine Lavigne que le pont d’Englancourt est gardé par les Allemands mais que les Américains sont en approche, deux agents de liaison du maquis, Claude Alluchon et Daniel Grançon ayant même traversé l’Oise à la nage pour avertir ces derniers. En début d’après-midi, les troupes américaines peuvent ainsi prendre à revers les Allemands, aidés par une section du maquis commandée par l’adjudant Ribeaux. Pendant ce temps, le capitaine Lavigne tente lui-même une reconnaissance avec deux sections en direction d’Englancourt mais est bloqué par les Allemands à 300 mètres au nord-ouest d’Erloy.

Ayant entendu les bruits des échanges de tirs et craignant un encerclement, les groupes de soldats allemands qui occupent Erloy finissent par se replier dans l’après-midi, faisant sauter le pont et abandonnant les otages qui sont libérés peu après, évitant des exactions comme ceux que Plomion ou Tavaux avaient connu les jours précédents.

Les maquisards passent à l’offensive

Toute menace sur les civils d’Erloy étant désormais écartée, le maquis O.R.A. peut désormais achever de s’organiser militairement et participer à la Libération aux côtés des troupes américaines désormais au courant de l’existence du maquis. Dès lors, conformément aux ordres reçus de l’état-major des F.F.I., les groupes de maquisards sous le commandement du capitaine Lavigne vont être employés de manière offensive pour assurer des missions de reconnaissance et d’appui aux colonnes blindés alliées qui poursuivent leur avance, tendre des embuscades aux détachements allemands en repli et les attaquer si nécessaire pour les stopper. Ainsi qu’en témoignera André Cornu, ancien maquisard d’Erloy :

« Le capitaine Lavigne était un homme exceptionnel, un combattant exemplaire, prêt à en découdre avec l’ennemi, mais en évitant toute bavure ou excès. Son but : accomplir des missions d’accrochages sur les deux rives de l’Oise. »

Dès 15h ils sont mis à contribution par un lieutenant américain de retour de Buironfosse pour sécuriser le carrefour du hameau du Boujon, au nord de la forêt du Régnaval, ce dont se charge le sous-lieutenant René Janeau avec la section de René Debelut. A 16h30, à la demande d’un officier américain, six hommes conduits par René Debelut sont envoyés à la sortie Ouest de Buironfosse où des soldats allemands ont mis le feu à la ferme Monplaisir. Ils y prennent par surprise leurs adversaires et après 45 minutes de combat et un blessé (Pierre Maillet), tuent 6 soldats allemands, capturent deux véhicules et un blindé, mais aussi 1500 kg de vivres, 60 litres d’essence et une cassette contenant 7720 francs.

Malheureusement ce succès est endeuillé par un drame à Erloy. Rentrant d’Englancourt vers 17h, l’adjudant Ribeaux signale que deux maquisards venant de Guise en tenue mais sans armes, Alfred et Marcel Delore, ont été fusillés à l’entrée d’Erloy que l’on pensait libérée de toute colonne allemande. Cette nouvelle cause un véritable émoi parmi les maquisards, dont certains, à l’image de l’adjudant-chef Dournelle, sont gagnés par la colère et veulent faire fusiller en représailles les trois blessés allemands du maquis russe. Il faut toute l’autorité de l'adjudant-chef Dorigny et du capitaine Lavigne pour éviter un incident. Peu après, afin de calmer les sections de maquisards et mieux les reprendre en main, l’ordre est donné de quitter Erloy et de faire mouvement vers Chigny dans la nuit du 1er au 2 septembre afin de protéger le pont encore intact et essentiel pour le passage des troupes alliées, tandis que le nettoyage d’Erloy est laissé aux éléments locaux et au maquis russe.

Bernard Malet-Debeune

Le 2 septembre 1944, les escarmouches reprennent pour le maquis d’Erloy. Vers 5h du matin, au moulin d’Englancourt où les maquisards s’étaient installés pour bivouaquer et dormir quelques heures, deux d’entre eux, Michel Curillon et Emile Lebeau, sont blessés par balle. Arrivés au pont de Chigny, un dispositif défensif se met néanmoins rapidement en place entre 7h et 8h30, ce qui permet dès 9h40 à un convoi américain de franchir le pont sans dommage. Mais en ces temps d’avance alliée souvent très rapide et de repli allemand non moins rapide, il n'est jamais impossible qu’une colonne allemande surgisse derrière une colonne alliée, et c’est ce qui survient vers 10h. Un détachement allemand est en effet signalé au nord de Chigny et une reconnaissance de dix hommes conduits par le gendarme Bernard Mallet-Debeune est envoyée et tombe dans un piège : sept des dix hommes s’effondrent sous un feu nourri. Une demi-heure plus tard un convoi est signalé, à sa tête est repéré un véhicule de la Wehrmacht portant la Croix rouge, qui à peine arrivé à proximité des résistants fait descendre une vingtaine de soldats. Sous-équipés, les maquisards se cachent et la colonne allemande reprend sa route en montant la côte de Chigny où elle tombe sous le feu des sections du maquis en embuscade. 20 soldats allemands sont tués et un F.F.I., Claude Alluchon, est blessé au bras. Plus tard dans l’après-midi, le groupe de résistants F.F.I. de Montceau-sur-Oise/Malzy leur signale une soixantaine d’hommes près du hameau « Le Brulé » sur la route entre Chigny et Malzy. Immédiatement les sections de l’adjudant Ribeaux et du sergent-chef Leleu prennent position sur le plateau dominant la vallée afin d’interdire le passage vers Crupilly tandis que deux sections O.R.A. et une section F.T.P.F. sont maintenues au Nord de Chigny en vue de couper la retraite aux Allemands, mais les F.T.P.F s’élancent sans ordre, et les Allemands ayant découvert l’embuscade se replie au sud de l’Oise, établissant un bilan décevant pour les maquisards de 8 prisonniers allemands et de 5 soldats allemands tués dont deux officiers, auxquels viendront s’ajouter 17 autres prisonniers dans la journée lors d’opérations de « nettoyage » du secteur de toute présence adverse.

Ces opérations se poursuivent le lendemain 3 septembre dès le lever du jour, les sections du sergent-chef Leleu, de l’adjudant-chef Dournelle et de l’adjudant-chef Dorigny se déployant à l’Est de Chigny où une unité allemande a été signalée. Les soldats allemands qui ont bivouaqué dans ce secteur ont cependant pris soin de placer des guetteurs et de renforcer leur camouflage. Grâce à des tireurs de précision placés dans les pommiers d’un verger, les maquisards subissent un feu nourri lorsqu’ils attaquent, et deux hommes sont tués et cinq blessés, dont l’adjudant-chef Dournelle qui est évacué sur Marly-Gomont où il rencontre le capitaine Jean Merlin, chef du Groupement C des F.F.I., qui lui envoie une section de résistants d’Etréaupont parfaitement équipés en renfort, mais ils ne seront pas d’une grande aide, et sans l’aide de mortiers, tout nouvel assaut serait un suicide, et les maquisards reçoivent l’ordre de se replier à couvert tandis qu’à la faveur de la nuit, l'unité allemande parvient à s’échapper vers le nord.

Dans les jours qui suivront, plus aucun engagement d’envergure n’aura lieu et seules quelques opérations de ratissage dans la région permettront de faire une vingtaine de prisonniers. Résistants locaux et maquisards vont désormais pouvoir goûter un repos bien mérité après plusieurs jours de combats et après une dernière prise d’arme le 10 septembre au cimetière de Guise pour rendre les honneurs aux victimes des combats, le maquis sera dissous. Faute de sources, il est difficile encore aujourd’hui de recueillir des informations sur les hommes qui composèrent ce maquis et dont les combats viennent d’être relatés. Néanmoins, dans les archives du Groupement C des F.F.I. de l’Aisne, on trouve encore aujourd’hui des listes des hommes qui le composèrent ou firent partie de l’O.R.A. de « Guise-Ville » et « Guise-Périphérie », et c’est leur rendre hommage que de les citer : Robert Alart, Claude Alluchon, Gaston Bachelet, Roland Bara, Gaston Baron, Raymond Behague, Maurice Bernard, Marc Bultez, Charles Casseleux, Emile Collart, Henri Cornu (décédé le 8 juin 1944), Auguste Couez, Marcel Couplet, René Debelut, Marcel Darson, Noël Demarescaut, Raymond Dhuiege, Gilbert Dufour, Marcel Dufour, René Dupont, Maurice Duton, Henri Egret, Yves Fichaux, Jacques Garbe, Jean Gobert, Louis Guillaume, Henri Hautecoeur, Norbert Heusseer, Marc Lavigne, Oswald Lefèvre, Edouard Legrand, Jean Leger, Edouard Lepert, Jacques Lucien, Henri Meynard, Georges Morizio, Claude Nicolas, Armand Pamart, André Pardon, Jean Pardon, Paul Patte, Jean Pirotte, Paul Poindron, Emile Ribeaux, Emile Rolin, Edouard Szablewski, André Thiebaud, Marceau Thiefaine, Marcel Tricoteux, Fernand Turquin, René Veillot, Pierre Vigelle, Jules Vinchon, Jean Vireton.

Un monument en mémoire des maquisards

La stèle du maquis d'Erloy


La guerre terminée, les résistants d’hier reprirent le cours de leur vie, sans jamais pouvoir oublier cette période marquante. Particulièrement actifs autour de Jean Merlin et des anciens du Groupement C, les résistants de Thiérache vont œuvrer pour faire perdurer la mémoire de leurs camarades morts et des combats qu’ils avaient mené. Ces efforts aboutirent en 1975 à l’inauguration de la stèle du maquis d’Erloy à l’endroit même où les maquisards s’étaient retrouvés les 30 et 31 août 1944. Celle-ci rappelle le sacrifice d’un officier américain et des onze maquisards « Morts pour la France » entre le 1er et le 5 septembre, à Erloy et ses environs :

  • M. BENETT (Officier américain).
  • Saïd BENKIRAT, 33 ans, mort des suites de ses blessures le 8 octobre 1944 à Guise.
  • Eugène CAPLAIN, 23 ans, mort des suites de ses blessures le 4 septembre 1944 à Guise.
  • Georges DELAPLACE, 20 ans, tué en service commandé le 3 septembre 1944 à Guise.
  • Alfred DELORE, 51 ans, ancien combattant de la Grande Guerre, tué d’une balle dans la tête le 1er septembre 1944 alors qu’il se rendait au maquis d’Erloy.
  • Marcel DELORE, 23 ans, tué le 1er septembre 1944 alors qu’il se rendait au maquis d’Erloy avec son père.
  • Saïd DHAINI, Spahi au 2e régiment de spahis algériens, tué le 3 septembre 1944 et enterré à la nécropole nationale de la Désolation à Flavigny-le-Petit.
  • Mohamed LATRECHE, tirailleur au 19e régiment de tirailleurs algériens, tué le 2 septembre 1944 et enterré à la nécropole nationale de la Désolation à Flavigny-le-Petit.
  • Bernard MALET-DEBEUNE, 21 ans, gendarme ayant quitté sa brigade le 6 août 1944 pour rejoindre le groupe FFI de Proisy dont il devient le sous-chef, tué le 3 septembre dans l’attaque d’un groupe de soldats allemands retranchés dans le chemin du bois d’Ardon, à Chigny.
  • Bernard ROUSSELLE, 23 ans, tué au combat le 3 septembre 1944 à Chigny.
  • Camille THOUANT, 33 ans, mort des suites de ses blessures à Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt le 3 septembre 1944 (Décoré de la médaille de la Résistance à titre posthume).
  • M. ZELIO, 44 ans, soldat soviétique prisonnier évadé, tué au combat le 1er septembre 1944.

Chaque année, le second dimanche de septembre, une cérémonie commémorative a lieu près de ce monument, organisée par le Comité du Souvenir du maquis d’Erloy. Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière ce monument, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 8 septembre 2024.