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La Libération de l'Aisne

  • NOGENT-L'ARTAUD

Publié le 03 sep 2024 - Mis à jour le

1940-1944, Nogent-l'Artaud dans la Seconde Guerre mondiale

Traversée par la Seconde Guerre mondiale, Nogent-l’Artaud est le théâtre des combats de 1940, durant lesquels l’armée française tente de ralentir l’armée allemande, avant de connaître quatre années d’occupation qui s’achèveront par la Libération, le 27 août 1944, par la 7e division blindée américaine épaulée par la Résistance locale.

1940 ou l’espoir déçu d’un miracle de la Marne

Alors que débute le mois de juin 1940 sur les coteaux de la vallée de la Marne, l’armée française est aux prises avec l’armée allemande dans la vallée de l’Ailette et la vallée de l’Aisne où le front s’est stabilisé depuis le 18 mai tandis que de nombreux Axonais sont partis sur les routes de l’Exode. Partout dans le pays, le Grand Quartier Général de l’armée française tente alors de rediriger ses divisions de réserves pour les envoyer colmater ce front qui se reconstitue peu à peu et qui prendra le nom de « Ligne Weygand », du nom du général français qui remplace le général Gamelin. Le 18 mai, le 12e régiment étranger d’infanterie (REI), qui appartient à la 8e division d’infanterie, est ainsi débarqué à la gare de Nogent-l’Artaud en vue d’être dirigé sur le Soissonnais. Le journal de marche du sergent François de la 7e compagnie du 12e REI offre alors un témoignage poignant de l’état d’esprit qui règne alors :

Premières visions de réfugiés se dirigeant vers le sud et amenant avec eux ce qui leur semble être l’indispensable. Ces gens sont abattus. Pour beaucoup d’entre eux, c’est en 25 ans la deuxième triste odyssée, cette dernière aggravée par le harcèlement d’une aviation ennemie poursuivant les troupes françaises en retraite et mêlées en bien des cas aux civils fuyants. Premières visions aussi de petits groupes de soldats désarmés et conduits sous escorte vers l’arrière. Fuyards, rescapés, venant de Belgique peut-être, et que nos mines gaies exaspèrent. « Vous déchanterez lorsque vous serez là-haut. » nous crient-ils. Les réponses leurs parviennent immédiates et vertes car il nous en faut bien d’autres pour que notre régiment perde son optimisme. En traversant les bourgs et les villages, tous les habitants accourent sur le pas des portes, distribuant boisson et nourriture à ceux qui passent. En échange nous leur rendons l’espoir, un moment perdu à la vue de toute cette pauvre humanité, fuyant de toutes parts, vision aggravée par les propos moins réjouissants des soldats revenant du feu. LA LEGION. Ce nom ne résume-t-il pas toutes les vertus militaires ? Son passé n’est-il pas garant du présent, pour tous ces gens qui peut-être appréhenderaient de nous cantonner, mais qui sont prêts à mettre à notre actif les actions de guerre, les plus effarantes, inventées de toutes pièces mais vraisemblables, parce qu’il s’agit de la Légion et que cela leur donne un motif d’espérer. D’espérer que l’invasion ne viendra pas jusqu’à eux, que l’ennemi s’arrêtera là où nous serons.

Quelques jours plus tard, une autre unité française, la 27e division d’infanterie alpine (DIAlp), débarque à son tour dans les gares au sud-ouest de Château-Thierry, et cantonne le 25 mai entre Montreuil-aux-Lions, Château-Thierry et Nogent-l’Artaud dans l’attente d’être déployée vers le front. Le répit laissé par l’armée allemande aux troupes françaises n’est cependant que de courte durée, et du 5 au 9 juin, après avoir rassemblé ses forces, la Wehrmacht se lance à l’assaut des positions françaises de la ligne Weygand. Si les troupes françaises tentent durant deux jours de faire face avec l’énergie du désespoir, l’offensive allemande est irrésistible, et le front se déplace bientôt dans le sud du département de l’Aisne où débarquent le 9 juin la 238e division légère d’infanterie (DLI) à qui est confiée la défense de la Marne autour de Château-Thierry ainsi que la 41e division d’infanterie qui se voit confiée la défense du Clignon.

Evolution des lignes de front en juin 1940
©SHD, Archives de la 41e DI

A partir du 10 juin, les maigres forces qui sont installées sur la Marne sont rejointes par ce qu’il reste de la 7e division d’infanterie (DI), déjà épuisée par les combats sur l’Ailette puis dans le Soissonnais, et qui reçoit l’ordre de préparer la défense de la rivière entre Pavant et Azy, tandis que plus au nord, la 41e DI résiste déjà farouchement aux attaques allemandes. Sur les ponts de Nogent-l’Artaud et aux abords de la commune s’installent alors les hommes du 102e régiment d’infanterie (RI), originaires de la Sarthe, avec pour seul soutien trois canons de 75 mm.

Le 11 juin 1940, les derniers éléments de la 7e DI sont mis à disposition de la 238e DLI tandis que les débris des divisions épuisées par les contre-attaques dans le Soissonnais et dans la vallée de l’Ourcq continuent de se replier vers le sud, à l’instar de la 27e DIAlp dont les troupes épuisées repassent la Marne aux ponts de Charly, Nogent-l’Artaud, Azy et Château-Thierry. Faisant face aux infiltrations allemandes qui rêvent d’atteindre la Marne et de la traverser, les éléments de la 7e DI et de la 238e DLI combattent durement durant toute la journée du 11 juin. Pendant ce temps, la 41e DI, supportant depuis la veille un combat inégal, reçoit l’ordre de se replier derrière la Marne dans la soirée, entre La Ferté-sous-Jouarre et Nogent-l’Artaud, la défense de Nogent-l’Artaud restant cependant à la charge de la 238e DLI. Durant la nuit, exténués par une journée de combat sans répit sous une chaleur intense, ce sont les hommes du 144e régiment d’infanterie alpine, originaires de la Côte d’Azur, qui vont devoir défendre Nogent-l’Artaud.

Traversée de la Marne à Essômes sur Marne ©Coll. part.

Le 12 juin aux premières lueurs du jour, les ponts qui n’ont pas été détruits sont dynamités tandis que vers 9h, les premières troupes allemandes paraissent sur les hauteurs dominant la Marne et les premiers obus s’abattent sur les positions françaises. Vers 11h, équipés de canots pneumatiques, les fantassins allemands réussissent à traverser la Marne et s’infiltrent dans les positions françaises vers Pavant et Nogent-l’Artaud. Débordées et par endroit encerclées, les troupes françaises tentent de défendre les rives de la Marne jusqu’en fin d’après-midi avant de se replier en combattant pied à pied dans la journée du 13 juin, mettant un point final à quatre semaines de combats intenses sur le sol axonais. Beaucoup d’hommes périrent au cours de ces combats, et 10 soldats « Morts pour la France », en grande partie tombés le 12 juin, périrent sur le territoire de la commune de Nogent-l’Artaud. Ils s’appelaient Fernand Camp (21 ans), Robert Delmas (35 ans), Gustave Desolme (26 ans), Maxime Hassid (24 ans), Jean Jobard (26 ans), Bernard Leguay (28 ans), Charles Michel (25 ans), Antoine Pavin (21 ans), Sylvain Rey (22 ans) ou encore Georges Bouvier (19 ans).

Les débuts de la Résistance dans le secteur de Nogent-l’Artaud

Le fracas des combats s’est à peine achevé que partout dans l’Aisne, quelques hommes et femmes entreprennent de récupérer les armes et les munitions que l’on peut encore glaner sur le champ de bataille. Peu à peu les premiers réseaux de résistance voient le jour en cachant des armes, en collectant des renseignements, en venant en aide aux prisonniers puis aux aviateurs évadés ou simplement par des actes de résistance plus discrets comme la diffusion de tracts. Les premiers chefs de la résistance du sud de l’Aisne se réunissent à partir de septembre 1941 à Château-Thierry afin d’organiser leur action. On compte alors parmi eux le député Paul Lambin, de Trélou, Octave Gebert de Beuvardes, Arthur et Maurice Penit de Château-Thierry, Jean Hury de Fossoy ou encore André Autiquet de Saint-Agnan.

Les premiers actes de sabotage constatés dans le sud de l’Aisne apparaissent au début de l’automne 1942 lorsque des locomotives sont détériorées au dépôt de Château-Thierry. En octobre 1942 des tracts sont diffusés de manière massive appelant au sabotage, et celui-ci se poursuit régulièrement avec la soustraction de coussinets de bielles de locomotive, le sabotage de vérins de levage ou encore de cylindres des locomotives. Le 7 mars 1943, une grande grève commémorative des fusillés de Châteaubriant a lieu au dépôt S.N.C.F. de Château-Thierry et un mois plus tard, des tracts sont à nouveau massivement diffusés appelant au sabotage et indiquant les moyens pour y parvenir. La diffusion de tracts et les sabotages au dépôt S.N.C.F. se succèdent ainsi jusqu’en janvier 1944. La Résistance voyant ses effectifs, son matériel et son expérience augmenter au fil des mois, d’autres sabotages auront lieu par la suite, comme celui de l’écluse d’Azy-sur-Marne qui est partiellement détruite par une équipe du lieutenant Gouel le 30 juillet 1943 puis à nouveau le 26 août 1943. Le 24 mars 1944, cette même écluse sera à nouveau la cible des résistants, ce qui permettra d’interrompre le trafic fluvial pendant 28 jours.

En parallèle à l’action locale de la Résistance, des actions très clandestines ont aussi lieu non loin de Nogent-l’Artaud. Les hauteurs dégagées qui surplombent les coteaux de la vallée de la Marne se révèlent être en effet des terrains propices aux opérations clandestines au profit de la Résistance. Ainsi, le 20 mai 1943 dans la soirée, après avoir entendu les messages « Le singe mange du savon » et « Le Barbier de Séville à Figaro » à la BBC, une équipe de résistants se dirige vers le terrain de parachutage « Girafe » situé sur les hauteurs de Romeny-sur-Marne, non loin de la ferme de Moucherelle. Celle-ci est conduite par le lieutenant Jean Ayral, chef du Bureau des Opérations Aériennes du Bureau Central de Renseignements et d’Action (B.C.R.A.) de la France Libre et futur Compagnon de la Libération. Quelques heures plus tard, un bombardier Halifax du No. 161 Squadron de la Royal Air Force largue 5 conteneurs de matériel, un paquet ainsi que Georges Lecot alias Drouot, agent du B.C.R.A. envoyé en France dans le cadre de la Mission Ted visant à améliorer l’organisation des services secrets de la France libre en zone nord.

Les Forces Françaises de l’Intérieur de Nogent-l’Artaud dans la Libération

A l’approche du printemps 1944, dans la perspective du débarquement allié et de la Libération du territoire métropolitain, le Comité Français de Libération Nationale appelle les réseaux à s’unir pour former les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.), ceci afin de parachever l’œuvre d’unification et de structuration de la Résistance sur le plan militaire en différents groupements. Au mois de mars 1944, les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry). Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanant du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront ainsi combiner l’action des groupes de résistance. Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise ainsi à renforcer l'efficacité de la Résistance en vue de la Libération.

Nomination des chefs de secteur du Groupement E
en 1944 © SHD GR 19P2

L’homme choisi pour prendre la tête du Groupement E est le capitaine F.F.I. Jean Pierron, alias Lapierre. Employé S.N.C.F. de 31 ans affilié au mouvement Libération-Nord, il prend ainsi la tête de toute la résistance du sud de l’Aisne, secondé par le lieutenant F.F.I. Abel Gouel, d’Essômes-sur-Marne. Afin de structurer l'action des F.F.I. pour la Libération, tout l’arrondissement de Château-Thierry est également découpé en une vingtaine de secteurs donc les chefs sont désignés au printemps 1944. Dans le secteur de Nogent-l’Artaud, le 5e secteur du Groupement E se constitue autour de l’aspirant Fernand Marteau, alias Leroux, résistant de 38 ans, et de son adjoint Jacques Bruyant, âgé de 22 ans, tous deux affiliés au mouvement Libération-Nord. Au moment de la Libération, il se compose d’après les archives du Service Historique de la Défense, de : Marius André, Robert Denis, Yvon Renault, Marc Meunier, Georges Angleraux, Pierre Agu, Raymond Beaufort, Marcel Clauman, Jacques fleury, Paul Laurent, Lucien Lemonnier, René Louchard, René Miron, René Menu, Pierre Menu, Denis Proffit, Jacques Thierry, Marius Thieffine, Yves Brezillon, René Conge, André Hardy, Jean Laurent, René Gobert, Mme Vannier, Veuve Laurent, Jean Berteney, Chatelain, Hiernard Marcel, Albert Meuriot, Henri Levêque, Marcel Lourdez, Maurice Breton, Henri Conge, Lanier, Corre, Lemarie.

Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans de mobilisation furent élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Dès le 5 juin 1944, de nombreux messages codés sont transmis à la Résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France ou encore le plan rouge, appelant à l’insurrection armée. Deux autres plans sont également mis à exécution, comme le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques et le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension.

Dans le sud de l’Aisne comme dans le reste du département, dès l’annonce des messages de la B.B.C., les équipes de sabotages se mettent immédiatement à pied d’œuvre, neutralisant de nombreuses lignes téléphoniques et voies de chemin de fer selon les plans Vert et Violet. Tous les moyens sont bons pour ralentir l’acheminement des troupes allemandes vers la Normandie, et dans les jours qui précèdent l’arrivée des troupes américaines sur le territoire axonais, aux sabotages de voies ferrées et fluviales viennent s’ajouter le démontage de panneaux indicateurs routiers et la pose de crampons crève-pneus. Ainsi, le 25 juin 1944, l’équipe du lieutenant Gouel réussit à saboter l’écluse de Charly-sur-Marne, ce qui permet d’interrompre le trafic fluvial pendant 3 jours. Le 26 juin 1944, une équipe de F.F.I. conduite par le capitaine Pierron réussit à couper les câbles téléphoniques près de la Ferme de Paris à Coupru, ce qui occasionne l’interruption du trafic pendant 24 heures sur la ligne Paris-Strasbourg. Le 16 juillet 1944, l’ensemble des lignes téléphoniques sur toute la zone d’action du groupement E fait l’objet de sabotages. L’opération est renouvelée le 19 juillet 1944, le lieutenant Gouel et son équipe réussissant à saboter une ligne téléphonique entre la ferme de Paris et Montreuil-aux-Lions, occasionnant une interruption du trafic pendant près de 12 heures. Dans le même temps, la Résistance effectue de nombreux transports d’armes et de munitions afin que tous les secteurs soient équipés : le 22 juillet 1944, des armes sont ainsi convoyées de manière clandestine d’Essômes-sur-Marne jusque Nogentel, Chierry et Blesmes. Le 2 août, c’est par voie fluviale que des armes sont à nouveau envoyées d’Essômes-sur-Marne à Blesmes.

La 7e division blindée américaine libère la vallée de la Marne

Char Sherman de la 7th Armored Division franchissant
la Seine ©NARA

Durant tout le mois d’août 1944, l’espoir de la Libération grandit et se renforce à mesure que les colonnes de véhicules allemands se replient vers l’Est à la fin du mois. Le 27 août dans l’après-midi, le contact est pris avec les avant-gardes alliées, et les 741 résistants du Groupement E des F.F.I. de l’Aisne participent aux opérations de patrouille et de nettoyage aux côtés des troupes américaines, faisant en quelques jours près de 637 prisonniers et capturant un important butin : 220 véhicules, récupération d’un train d’essence sous le tunnel de Chézy-sur-Marne, 300 chevaux, de nombreuses armes et des munitions sont également remises aux autorités militaires. Mais l’action de la Résistance ne serait rien sans l’intervention des troupes américaines, et en particulier celles de la 7th US Armored Division du Major-Général Lindsay McDonald Silvester (1889-1963). Après avoir traversé la Seine à Melun, cette division blindée américaine est en effet en train de progresser vers le nord en direction de la vallée de la Marne. Le 27 août dans la matinée, le Combat Command A (CCA) du colonel Dwight A. Rosenbaum a reçu l’ordre de faire mouvement vers Château-Thierry en trois colonnes comprenant chacune des chars, des tanks destroyers, de l’artillerie, de l’infanterie et du génie tandis que le Combat Command B (CCB), à sa droite, progresse vers l’Est de Château-Thierry afin d’y établir des ponts. Venue de Sablonnières, c’est la colonne F du CCA commandée par le lieutenant-colonel Edward T. Mc Connell, qui entre dans Nogent-l’Artaud vers 16h. Sur leur route, ces hommes ont rencontré quelques îlots de résistance destinés à ralentir leur progression et couvrir le repli des forces qu’il reste encore à la Wehrmacht, notamment à l’intersection de la RD1 et de la RD933, où une colonne d'artillerie allemande est même surprise et détruite. Néanmoins leur avance est fulgurante, et ils ont pu capturer dans la journée un équipement allemand considérable, détruit trois canons de 155 mm, trois véhicules chenillés, cinq chars et capturé près de 70 prisonniers.

Colonne blindée américaine se positionnant non loin
de Château-Thierry ©Archives de la 7th Armored
Division
Char Sherman de la 7th Armored Division traversant
la Marne à Château-Thierry ©Life Magazine

 

Les hommes et les véhicules qui arrivent dans les rues de Nogent-l’Artaud en cette fin d’après-midi sont ceux du 40th Tank Bataillon, de la compagnie A du 48th Armored Infantry Battalion, de la compagnie C du 489th Armored Field Artillery Battalion, de la 3e section de la compagnie A du 814th Tank Destroyer Battalion et de la 3e section de la compagnie A du 33rd Armored Engineer Bataillon. Cette puissante colonne pénètre cependant avec prudence dans les rues de Nogent-l’Artaud, où des unités allemandes peuvent être restées en embuscade. Durant toute la journée, un char allemand Tigre a en effet effectué plusieurs trajets entre le square La Bédoyère près de la gare, et la rue du Crochet, en direction de Chézy-sur-Marne, à la recherche d’une pièce mécanique égarée qu’un Nogentais avait eu la présence d’esprit de dissimuler. A l’approche des premiers chars Sherman, ce char Tigre avait traversé la Marne en direction de Saulchery et s’était adossé au café « La Terrasse » afin de détruire tous les véhicules qui franchiraient le pont. 

Fort heureusement pour les libérateurs de Nogent-l’Artaud, une institutrice en retraite qui parlait anglais, Mme Papuchon, accompagnée de sa fille, avaient vu le char Tigre se positionner à Saulchery, et elles préviennent immédiatement les équipages des premiers chars américains du danger qu’ils encourent, et leur conseillent de prendre la direction de Chézy-sur-Marne afin d’atteindre Château-Thierry par la rive gauche de la Marne. C’est ainsi que la colonne F du CCA de la 7th US Armored Division pu reprendre sa progression, non sans avoir envoyé quelques obus sur Saulchery afin d’entraver le repli des troupes allemandes sur la rive droite.

Lettre de la commune de Chézy-sur-Marne au général
Sylvester ©Archives de la 7th Armored Division

Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale à Nogent-l’Artaud

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, Nogent-l’Artaud se remémore son histoire et compte aussi ses morts : Maurice Deloutre, décédé de maladie durant la « drôle de guerre » le 5 janvier 1940, Marcel Christmann du 15e groupe de reconnaissance de division d’infanterie, tombé le 9 juin 1940 à Reims et Raymond Fenix du 22e bataillon d’ouvriers d’artillerie, tombé le 14 juin 1940 à l’Isle-Jourdain. Cette guerre a également ses victimes civiles tombées durant l’Exode et inscrites sur le monument aux morts de la commune, comme Zélie Finix, décédée lors de la destruction du pont de Gien le 14 juin 1940, Léone Herbette, tuée le 15 juin 1940, Armande, Francine et Rolande Paudière, tuées le 17 juin 1940 à Vierzon, Lucie Ricada, tuée le 16 juin 1940 à Argent-sur-Sauldre, ou encore Jean Pierret et Roger Jacquet.

 

Stèle dans le jardin de la mairie de Nogent-l'Artaud

L’occupation verra aussi la commune touchée par la répression et la barbarie nazie, et une stèle à la mémoire de trois hommes honore leur mémoire dans le jardin de la mairie de Nogent-l’Artaud : Pierre Bazin, Raymond Brayer et Isaac Draï. Le premier, Pierre Bazin (1919-1944), né le 3 mai 1919, est un jeune marin de la base de Toulon en 1940 quand il rejoint la Résistance et fournit des renseignements aux Alliés. Ses informations permettront en 1942 la destruction de la centrale électrique de l’arsenal de Toulon par les Anglais mais dénoncé et arrêté, il est détenu à la prison de Fresnes puis déporté le 22 novembre 1943 vers Buchenwald puis Natzwiller-Struthof. Evacué vers Bergen-Belsen, il y trouvera la mort le 23 avril 1944. Le second résistant Nogentais honoré par cette stèle est Raymond Brayer (1905-1945), né à Nogent-l’Artaud le 31 décembre 1905. Réfugié à Aubigny-sur-Nère, celui-ci aidera la Résistance par des transports clandestins mais sera dénoncé, arrêté et emprisonné au camp de Royallieu d’où il sera déporté le 28 juillet 1944 pour le camp de Neuengamme. Il y meurt en déportation le 2 février 1945 et son corps repose depuis 1955 au cimetière de Nogent-l’Artaud. La commune ne sera pas non plus exempte de victimes de la Shoah, puisque le troisième nom porté est celui de Isaac Draï (1898-1944), boucher casher polonais installé dans le XVe arr. de Paris, et qui était venu se réfugier à Nogent-l’Artaud durant l’occupation. Dénoncé puis arrêté, il sera interné à Drancy du 19 janvier au 2 février 1944 avant d’être déporté pour Auschwitz.

Les combats pour la Libération ont aussi vu d’autres Nogentais périr : Eugène Bertaux du 1er régiment de tirailleurs marocains, tué le 11 mai 1944 en Italie, Charles Bally du 5e régiment de tirailleurs marocains, tué le 5 septembre 1944 non loin de Sienne, ou encore Marcel Claus du 2e bataillon du régiment de marche du Tchad, tué le 23 novembre 1944 à Mittelhausbergen tandis que la 2e division blindée du général Leclerc accomplissait le serment de Koufra.

La stèle du carrefour de la libération

Après un conflit qui fut marquant pour Nogent-l’Artaud, l’arrivée de l’armée américaine le 27 août 1944 fut un évènement libérateur et afin de se souvenir de cette histoire, la commune a souhaité ériger un monument au carrefour de la Libération, qui rappelle le passage de la 7th US Armored Division à Nogent-l’Artaud et à travers cette histoire, la mémoire des hommes qui ont œuvré pour qu’elle s’accomplisse.

Une borne pour la mémoire


Inauguration borne mémorielle Nogent l'Artaud le 27 août 2024

Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et afin de valoriser l’histoire de Nogent-l’Artaud et mettre en lumière cette stèle, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 27 août 2024.

  • FONTAINE-NOTRE-DAME

Publié le 03 sep 2024 - Mis à jour le

27 août 1944, les fusillés de Fontaine-Notre-Dame

Les troupes alliées approchent durant l’été 1944, et la Résistance se prépare à passer à l’action dans l’arrondissement de Saint-Quentin. Le 27 août 1944, des groupes de résistants du Groupement A conduits par le capitaine Eugène Corrette se rendent à un parachutage pour y réceptionner des armes et des munitions quand ils tombent sur une colonne de soldats allemands en repli. Arrêtés, certains seront exécutés tandis que ceux qui suivent seront mitraillés dans leur camionnette en tentant de passer.

Les origines de la Résistance dans le Saint-Quentinois

Claude Mairesse

Dès 1942 quelques réseaux commencent à mener dans l’arrondissement de Saint-Quentin diverses actions de résistance comme la collecte de renseignements, la diffusion de tracts, les sabotages, la récupération et le camouflage d’armes, mais aussi l’aide aux aviateurs et aux prisonniers évadés de manière générale. Différents mouvements de résistance voient également le jour en parallèle, et le plus important se révèle rapidement être l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.), constituée sous l’impulsion du Docteur Claude Mairesse, alias « Haudroy ». Au début de l’année 1943, ce dernier charge Eugène Corrette, alias « Andrieux », de former des groupes de combat en vue de la Libération. Plusieurs groupes sont ainsi constitués sous la responsabilité de chefs de secteur, et le recrutement de volontaires se poursuit, ainsi que l’organisation de chaque secteur, qui participent à la réception et au transport d’armes vers des dépôts clandestins.

Le 1er février 1944, dans la perspective du débarquement allié et de la Libération du territoire métropolitain, le Comité Français de Libération Nationale appelle les réseaux à s’unir pour former les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) afin de parachever l’œuvre d’unification et de structuration de la résistance sur le plan militaire en différents groupements. Au mois de mars 1944, les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont ainsi rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont ainsi constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry).

 

 

Eugène Corrette

 

Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanant du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront ainsi combiner l’action des groupes de résistance. Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise ainsi à renforcer l'efficacité de la résistance en vue de la Libération.

Le docteur Claude Mairesse ayant été arrêté le 5 avril 1944, transféré au camp de Compiègne puis déporté en Allemagne, l’homme nommé à la tête du Groupement A à l’approche de la Libération est Eugène Corrette (1891-1944) alors directeur d’école. Ancien combattant de la Grande Guerre ayant participé aux batailles de Guise, de Verdun et du Chemin des Dames, plusieurs fois cité et récipiendaire de la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur, c’est aussi un homme ayant l’expérience du commandement, mais qui connaît surtout très bien les différents secteurs qu’il a contribués à structurer, ainsi que leurs chefs.

 

 

 

 

Le secteur 146 des F.F.I.

Jean Absil dit "Ceylan"

 

La commune de Fontaine-Notre-Dame appartient, à l’aube du débarquement de Normandie, au secteur 146 des F.F.I. du Groupement A, avec à sa tête le lieutenant Jean Absil, alias « Ceylan » (1905-1975). Dès la fin de l’année 1942, ce dernier avait été pressenti pour prendre la tête d’un groupe de résistants dans le secteur d’Homblières, Marcy et Fontaine-Notre-Dame, et avait commencé à recruter des hommes et effectuer un transport d’armes entre Saint-Quentin et Marcy en avril 1943.

Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans de mobilisation furent élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Dès le 5 juin 1944, de nombreux messages codés sont transmis à la Résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France ou encore le plan rouge, appelant à l’insurrection armée. Deux autres plans sont également mis à exécution, comme le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques et le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension.

Dès juin 1944, les hommes du secteur 146 participent ainsi à la réception d’un parachutage d’armes sur le terrain « Cantine », situé à proximité de la ferme Méraulieu, au nord de Fieulaine, puis au transport et à la distribution des armes reçues au bois Minette à Homblières et jusque Saint-Quentin, en vue des opérations à venir. Dès l’annonce des messages de la B.B.C., les équipes de sabotages se mettent immédiatement à pied d’œuvre en application des différents plans prévus. Tous les moyens sont bons pour ralentir l’acheminement des troupes allemandes vers la Normandie, et les hommes du lieutenant Absil sont particulièrement actifs en juin 1944, sabotant deux péniches à Fontaine-lès-Clercs, une péniche de ciment à Thenelles, des écluses à Sissy, des voies ferrées à Remaucourt et Fonsommes, un pont de chemin de fer à Essigny-le-Petit, des bétonneuses à Saint-Quentin, et participent même à l’évasion de Raymond Fiolet de l’hôpital de Saint-Quentin.

Entre juillet et août, les résistants du secteur 146 multiplient les actions de sabotage sur les lignes téléphoniques et les signalisations routières, ne manquant pas de semer des clous spéciaux sur les routes également, afin de perturber la circulation des troupes allemandes. Cela ne se fait pas sans pertes malheureusement. Les résistants Michel Renaux et Jules Sorriaux sont ainsi arrêtés par la Gestapo et déportés à Compiègne en juillet 1944, et le 1er août 1944, Jean Jacques Lernon est blessé mortellement d’une rafale de mitraillette au cours d’une action de sabotage près de la ferme Ledent à Saint-Quentin.

Le département de l’Aisne n’est cependant pas en première ligne et les moyens manquent rapidement, aussi il faut régulièrement que les résistants attendent des parachutages pour que l’action du groupement A soit relancée de manière plus prononcée à la fin du mois d’août 1944. L’espoir est alors immense de pouvoir contribuer à la Libération du territoire, alors que Paris vient d’être libérée. Le 26 août 1944, les résistants du Saint-Quentinois sont heureusement prévenus que des parachutages d’armes vont avoir lieu sur plusieurs terrains codés, ce que des messages confirment dès le 27 août en fin de matinée, en particulier le message « Félicitations Fontaine » qui confirme un parachutage sur le terrain « Cantine » dans la soirée : le secteur 146 allait recevoir des armes pour se battre. N’attendant que ce message, une poignée d’hommes menés par le capitaine Corrette partent de Saint-Quentin à bord d’une camionnette pour rejoindre les lieux du parachutage avant le couvre-feu.

Le drame de Fontaine-Notre-Dame

Cependant, l’Aisne est alors aussi le théâtre du repli des troupes allemandes devant la progression des troupes alliées, et nul ne peut alors prévoir qu’une unité allemande est sur le point de s’installer non loin du terrain de parachutage. En effet, le 27 août, vers 14h, un officier et des sous-officiers allemands arrivent à Fontaine-Notre-Dame pour y trouver un lieu de cantonnement pour la colonne en repli à laquelle ils ouvrent la route, et se fixent à la ferme Malin. Vers 16h-16h15, ils sont rejoints par le reste de leur colonne venant d’Homblières et ce sont bientôt plusieurs dizaines de soldats allemands qui s’activent pour installer leur cantonnement préparé dans les différentes fermes du village. La troupe s’installe alors notamment dans les bâtiments et dans la cour de la ferme Malin, postant des sentinelles jusque dans les fossés de la ferme, une mitrailleuse braquée en direction de la route d’Homblières.

Empruntant cette même route peu de temps après, le capitaine Corrette et ses hommes croisent trois jeunes cyclistes revenant d’Homblières à l’entrée de Fontaine-Notre-Dame. Ces jeunes hommes, Pierre Dupont, Henri Legrand et Savreux, les informent de la présence des quelques soldats allemands arrivés vers 14h dans le village et qu’ils avaient croisés quelques heures plus tôt. Ignorant que ces soldats avaient été rejoints entre temps par le reste de leur colonne, ils ne peuvent mettre en garde le capitaine Corrette et ses hommes, qui après avoir tergiversé pendant trois quarts d’heure sur la route à suivre, décident de traverser Fontaine-Notre-Dame, et la camionnette poursuit donc sa route.

Fourgon Citroën à Fontaine-Notre-Dame

Arrivés à hauteur de la ferme, la camionnette est arrêtée et fouillée par les Allemands, de même que Pierre Dupont et Henri Legrand qui avait suivi la camionnette à bicyclette. Des armes sont alors découvertes, et les résistants sont rapidement alignés le long du muret de l’abreuvoir Marolle, tandis qu’un side-car allemand équipé d’une mitrailleuse se positionne devant la ferme Marchandise. Quelques minutes plus tard, alors que le jour est en train de s’achever, une moto arrive à l’entrée du village, il s’agit de Jacques Braconnier et d’André Tabary, deux résistants qui aperçoivent des lumières dans le village. Prudents, ils continuent à pied puis voyant les soldats allemands sur le qui-vive, rebroussent chemin. C’est alors qu’ils croisent une seconde camionnette remplie elle-aussi de résistants qui se rendent au parachutage. Leurs signes pour leur indiquer de s’arrêter sont vains, et la camionnette continue sa route, tombant dans l’axe de tir de la mitrailleuse placée dans le fossé de la ferme Malin et du side-car installé devant la ferme Marchandise.

 

A quelques dizaines de mètres de là, les soldats allemands achèvent les hommes qui ont été abattus, tandis qu’à 22h30, un officier allemand interpelle violemment M. Gabriel Courtois, président de la délégation spéciale du village, le tenant pour responsable de cet évènement. Vers 3h du matin il est renvoyé chez lui puis, convoqué à 8h, des officiers allemands lui ordonnent de s’occuper de l’ensevelissement des résistants fusillés, sans linceul ni cérémonie religieuse. Les habitants du quartier creusèrent alors une fosse au fond de laquelle furent alignés les 19 cadavres des résistants fusillés la veille, dont douze membres du secteur 146 :

  • Louis BACHY, 19 ans
  • Jean BUDNYK, 18 ans
  • Marcel BILLANCOURT, 24 ans
  • Charles CARLIER, 26 ans
  • Jacques CHAMPY, 18 ans
  • André CHANTEREAU, 20 ans
  • Eugène CORRETTE, 53 ans
  • Marcel DE WAEL, 22 ans
  • André DELORME, 20 ans
  • Pierre DUPONT, 21 ans
  • Paul DUVERGET, 38 ans
  • Aimé GOSSET, 27 ans
  • Robert HARLAY, 32 ans
  • Gabriel LAGUILLIEZ, 19 ans
  • Simon LANGLET, 34 ans
  • Henri LEGRAND, 21 ans
  • Lucien MARTIN, 31 ans
  • Marceau PION, 33 ans
  • Louis PLANCHON, 35 ans
Quelques-uns des fusillés de Fontaine-Notre-Dame

Conclusion

Les corps des fusillés de Fontaine-Notre-Dame seront ensevelis dans le talus en face de la ferme Marchandise et un vicaire de la basilique viendra bénir la fosse le lendemain. Quant au parachutage qu’ils appelaient tant de leurs vœux et auquel ils ne purent jamais se rendre, il eut bien lieu, le groupe du BOA composé de quatre hommes conduits par Pierre Leporc étant venu, à vélo, de Saint-Quentin en passant par Fonsommes et Fieulaine. Les quatre membres de ce groupe chargés du balisage ainsi que de la réception des containers réceptionnèrent le parachutage et durent cacher les armes reçues, en pouvant les transporter le soir-même. Quelques jours plus tard, menés par Jean Absil et Eugène Meunier, les résistants survivants du secteur 146 continuèrent la lutte, perdant à nouveau deux de leurs camarades, Philibert Martinage et Guy Lorentz, qui seront tués le 2 septembre 1944 dans les combats pour la Libération de Saint-Quentin.

Plaque commémorative capitaine Corrette à
Saint-Quentin

 

La guerre terminée, les résistants d’hier reprirent le cours de leur vie, sans jamais pouvoir oublier cette période marquante, et contribuèrent à ce que la mémoire des fusillés de Fontaine-Notre-Dame ne soit pas oubliée en érigeant un monument en leur honneur.

Une borne pour la mémoire


Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière ce monument, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 25 août 2024.

  • SOISSONS

Publié le 18 sep 2024 - Mis à jour le

29 août 1944, la 3e division blindée américaine libère Soissons

Traversée par la Seconde Guerre mondiale, la ville de Soissons fut également au cœur des combats de la Libération les 28 et 29 août 1944, quand la 3rd Armored division de l’armée américaine y repousse les troupes allemandes aux côtés des Forces Françaises de l’Intérieur, avant de contribuer à la libération de tout le Département de l’Aisne.

La 3rd Armored Division en route vers l’Aisne

 

Insigne de la 3rd US Armored Division

 

En pointe du VIIe corps du major general J. Lawton Collins (1896-1987), qui lui-même appartient à la 1ère armée américaine du lieutenant general Courtney H. Hodges (1887-1966), c’est la 3rd Armored division qui se dirige vers Soissons le 28 août 1944 après avoir franchi la Seine dans la nuit du 25 au 26 août sur un pont de 165 mètres construit par le génie américain. Cette division, dont le surnom est Spearhead (Fer de Lance) est une division blindée de l’armée des Etats-Unis commandée par le major general Maurice Rose (1899-1945). Elle regroupe près de 16 000 hommes dont 232 chars au sein d’unités appelées « Combat Command » (l’équivalent d’une brigade interarmes), dans lesquelles se répartissent trois régiments principaux : le 32nd Armored regiment, le 33rd Armored regiment et le 36th Armored infantry regiment.

 

 

 

 

Le major general Maurice Rose, commandant de la 3rd US
Armored division

Créée en Louisiane en 1941, la 3rd Armored division fut transférée en Angleterre en septembre 1943 après deux années d’entraînement aux Etats-Unis. Le 24 juin 1944, elle débarque en Normandie à Omaha Beach et se trouve engagée dans la bataille de Saint-Lô où elle est durement éprouvée. Suivant la progression de la 1ère armée américaine, elle traverse la Mayenne, l’Orne, l’Eure-et-Loir jusqu’à atteindre le département de Seine-et-Oise le 26 août 1944 dans la soirée.

Le 27 août 1944, l’objectif pour le Combat Command A est de prendre Soissons tandis que le Combat Command B reçoit la mission de prendre Pont-Arcy : il faut franchir l’Aisne et y installer des têtes de pont. A la demande du major general J. Lawton Collins, un petit détachement de la 3rd Armored division sous le commandement du Captain Theodore Black est aussi envoyé en pointe vers Château-Thierry et y rencontre la 7th Armored division de la 3e armée américaine du lieutenant general George Smith Patton Jr. (1885-1945) qui remonte la Marne. Mais la marche vers Soissons n’est guère aisée, et dans la journée du 27 août la 3rd Armored division déplore la perte du sergent Carl Behle et du capitaine Burton W. Benz du 32nd Armored regiment, ainsi que le 1ère classe Charles F. Goldstone du 36th Armored infantry regiment.

 

 

 

La Libération de Soissons

Le 28 août 1944, les blindés et les équipages de la 3rd Armored division prennent donc la direction de Soissons avec pour objectif de franchir l’Aisne, ceci afin de continuer leur poursuite des troupes allemandes en repli depuis leur défaite de la poche de Falaise. A toute vitesse, les blindés américains font sauter les rares obstacles sur leur chemin et détruisent 3 chars Panther, 4 chars Panzer IV ainsi qu’un grand nombre de véhicules.

Un char allemand Tigre brûle sur la route de Paris à
Soissons

 

En fin d’après-midi, vers 17h45, les premiers obus des pièces autoportées de la 3rd Armored division tombent sur le quartier Saint-Christophe de Soissons où la canonnade dure jusque 18h15. Bientôt, au passage à niveau de la route de Paris, les premiers chars pénètrent dans la ville, pris à partie par quelques éléments de l’armée allemande restés en arrière pour couvrir le repli des troupes sur la rive droite de l’Aisne, et un camion et un char allemand sont détruits au milieu de l’avenue de Paris. A 18h55, les chars arrivent jusqu’à la place Saint-Christophe et la place de la République où des échanges de tir avec des pièces d’artillerie allemande ont lieu. Au cours de la journée, la 3rd Armored division perdra plusieurs de ses combattants : les soldats Oliver J. Cooper Sr. et Donald C. Dailey du 36th Armored regiment, ainsi que le 1ère classe Leonard A. Pelonero du 33rd Armored regiment. 

Char M3 Stuart sur la place Fernand Marquigny à Soissons

 

A la tombée de la nuit, un char Tigre allemand arrive par la rue Saint-Christophe mais les obus des chars américains le manquent. Sans doute endommagé, le char allemand s’immobilise au bout du Mail où son équipage le saborde. Les ponts endommagés ou impraticables pour les chars américains, l’artillerie allemande repliée sur la rive droite de l’Aisne à Cuffies, Leury et Bucy-le-Long commence à pilonner les troupes américaines et les tirs continuent durant une grande partie de la nuit.

Au lever du jour, le 29 août, les résistants de Soissons ouvrent la route aux Américains en attaquant le quartier Saint-Vaast, perdant 4 hommes. L’un des ponts est alors soupçonné d’être endommagé, ce que le général Maurice Rose va lui-même vérifier malgré le danger (ayant l’habitude d’aller en première ligne), ce qui lui vaudra de recevoir la Distinguished Service Cross. A 11h30, les chars alliés peuvent enfin déboucher sur la place d’Alsace-Lorraine dans le quartier Saint-Vaast, achevant la libération de Soissons avant de progresser en direction de Crouy.

 

Un canon automoteur M7 Priest armé d'un canon de
105 mm franchit l'Aisne le 30 août 1944
Un M7 Priest franchit l'Aisne tandis que des civils
consolident la chaussée.


Consolider la tête de pont sur l’Aisne

L’Aisne traversée à Pommiers, Soissons, Villeneuve-Saint-Germain, Venizel et Pont-Arcy, l’objectif est désormais de sécuriser et consolider cette tête de pont sur l’Aisne. Les troupes américaines lancent alors des reconnaissances vers les villages alentour dans l’optique de reprendre la route vers Laon et vers la vallée de l’Aisne le lendemain. Prudent, le commandement américain déploie tous les éléments de reconnaissance de la division et du corps d’armée à sa disposition. A Vailly-sur-Aisne, une colonne légère du 4th cavalry reconnaissance squadron est prise sous les tirs allemands et le soldat Robert J. Whalen est tué au volant de sa jeep. Près du pont sur le canal, un monument rappelle aujourd’hui son sacrifice, et l’on compte également la perte du soldat Ernest R. Hart de la même unité le même jour.

 

Le monument en hommage à Robert Whalen à
Vailly-sur-Aisne

 

A Braine, un train allemand composé de 21 wagons plats (avec des chars de plusieurs modèles) et 9 voitures transportant des troupes, bloqué depuis deux jours à Sermoise par un sabotage, rebrousse chemin quand un résistant tire sur le conducteur allemand et l’abat. Immédiatement, le convoi stoppe et deux chars descendent ainsi que des éléments d’infanterie pour réprimer les résistants locaux responsables de cette escarmouche. En ce moment critique pour Braine qui risque d’être victime de représailles, une colonne de la 3rd Armored division arrive au niveau du train dont les wagons sont immédiatement mitraillés par les tirs des canons antiaériens quadruples de calibre 50 du 486th Armored anti-aircraft battalion, faisant exploser la chaudière de la locomotive (800 cartouches sont tirées). Une compagnie de chars est ainsi détruite, 40 soldats allemands tués et 70 sont faits prisonniers par les Forces Françaises de l’Intérieur. Plus tard dans la nuit, un deuxième train est découvert par les avant-gardes blindées du 32nd Armored regiment et du 54th Armored field artillery battalion qui le font stopper par leur feu, détruisant quatre chars Tigre encore sur leurs plates-formes.

Le train allemand détruit en gare de Braine et les FFI qui montent la garde

Plus loin les résistants de Bourg-et-Comin s’assurent que les ponts sur l’Aisne et les canaux alentours soient préservés, permettant le passage des colonnes américaines en direction de Cerny-en-Laonnois et Guignicourt où vers 18h30, elles s’arrêtent pour bivouaquer tandis que le Quartier-Général de la 3rd Armored division s’installe à Sermoise. Les nombreux engagements de la journée ont néanmoins un coût humain, et le 29 août sera une journée très meurtrière pour la 3rd Armored division, car elle voit la disparition de 10 combattants : le soldat George Nagy du 83rd reconnaissance batallion, les soldats William G. Weyant, Peter Weber, John H. Wehry et le 1ère classe Ambrose J. Foley du 36th Armored infantry regiment, le soldat Arthur J. Van Cleck, le caporal Jessie C. Lambert et le caporal technicien de 5e grade Melvin E. Thiel du 32rd Armored regiment, et pour finir le caporal technicien de 5e grade Ray G. Patterson et le soldat Lewis R. Price du 33rd Armored regiment.

Carte de la progression de la 3rd Armored Division

La progression vers le Laonnois et la Thiérache

Le 30 août 1944, les éléments de la 3rd Armored division chargés de garder les ponts sur l’Aisne sont relevés par la 1st Infantry division qui s’installe à Soissons avant de poursuivre elle-même sa progression dans les jours qui suivent. Le même jour, le 33rd Armored regiment du Combat Command B arrive à Laon à 19h, traverse la ville et établit des barrages routiers autour de la montagne couronnée. Ce jour-là, la 3rd Armored division ne déplore que la perte d’un homme, le soldat William D. Garrity du 83rd reconnaissance battalion. En fin de journée, le Quartier-Général de la 3rd Armored division s’installe à Braye-en-Laonnois, mais les jours suivants les combats reprendront pour libérer la Thiérache où des éléments de divisions Panzer-SS sont en particulier chargés de garder les ponts sur la Serre.

 

La libération de Laon
La libération de Laon

 

Le 31 août 1944 sera la journée la plus meurtrière pour la 3rd Armored division, qui voit tomber 12 de ses hommes : Le sergent-chef Joseph Horvath, le caporal technicien de 5e grade Maurice E. Clements, les caporaux Alexander Leoshko et George Miller, le 1ère classe William B. Robinson et les soldats Frank Ramirez, Bernard Berman et John E. Dindot du 33rd Armored regiment, le 1er lieutenant Fred D. Little et le 1ère classe Paul A. Bressler du 36th Armored infantry regiment, et enfin les soldats Thomas I. Edwards et Harry S. Hartenstine du 83rd reconnaissance battalion. La 3rd Armored division se déplacera ensuite à Montcornet puis La Capelle, les chars américains libérant Vervins et Hirson avant de gagner la Belgique.

Un monument pour se souvenir des libérateurs

Après un conflit qui fut marquant pour Soissons, l’arrivée de l’armée américaine le 28 août 1944 dans la soirée puis les combats menés le 29 août 1944 furent des évènements majeurs dans l’histoire de la ville et du département. Pourtant il est difficile de se souvenir alors que les traces des combats ont disparu et que le souvenir des combattants américains n’est plus perceptible dans le paysage de la vallée de l’Aisne.

En effet, les hommes de la 3rd Armored division qui furent tués durant l’été 1944 au cours de la Libération de l’Aisne furent pour certains rendus à leur famille et enterrés avec les honneurs militaires dans des cimetières civils aux Etats-Unis. Seuls les noms de ceux qui furent enterrés en France nous sont connus, et ils reposent aujourd’hui pour la plupart au sein du Epinal American Cemetery à Dinozé dans le département des Vosges ou dans le Henri-Chapelle America Cemetery à Hombourg en Belgique.

 

Epinal American Cemetery
La stèle en l'honneur des soldats de la 3rd Armored
Division à Soissons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Néanmoins désireuse de rendre hommage à la 3rd Armored division qui l’avait libérée et aux combattants tombés au cours de la Libération, la Ville de Soissons décida d’ériger une stèle en leur honneur à proximité de la place de l’Hôtel de Ville et de la rue Pétrot Labarre.

Une borne pour la mémoire


Inauguration borne Aisne Terre de Mémoire Soissons

Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser l’histoire de la 3rd Armored division dans la Libération de Soissons et mettre en lumière cette stèle, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 20 septembre 2024. 

  • TAVAUX-ET-PONTSERICOURT

Publié le 03 sep 2024 - Mis à jour le

30 août 1944, le massacre de Tavaux

A la fin de l’été 1944, talonnée par les avant-gardes de l’armée américaine, l’armée allemande est en plein repli et les accrochages sont nombreux avec les résistants. Le 30 août 1944, à Tavaux, en représailles à un échange de tirs le matin même, 20 civils sont massacrés par des SS tandis que 86 maisons sont incendiées.

Face au repli allemand, la Résistance de Tavaux passe à l’action

Depuis le mois de juin 1944, conduits par leur chef Pierre Maujean, les résistants du secteur de Tavaux multiplient les sabotages afin de perturber les mouvements de troupes allemandes vers la Normandie. Cela se traduit par de nombreuses coupures sur les lignes téléphoniques, le barbouillage de panneaux indicateurs afin de les rendre illisibles, et surtout de nombreux et fréquents sabotages de voies ferrées. A la fin du mois d’août 1944, la progression des troupes alliées depuis la Normandie a évolué, et le département de l’Aisne se trouve désormais au cœur du repli allemand. Les restes des unités allemandes tentent en effet de fuir vers la Belgique en évitant les embûches tendues par les groupes de résistants tandis que les éléments avancés de la 3e division blindée américaine traversent le Laonnois. Les ordres que reçoivent les FFI sont alors clairs : la circulaire n° 10 du 6 juillet du chef départemental de la Résistance, le commandant de Sarrazin, appelle au combat contre les troupes allemandes tous les groupes de FFI dès lors que les troupes américaines seraient signalées, afin de leur ouvrir le chemin :

« Quand les troupes alliées seront à moins de 60 km de notre zone et au fur et à mesure que cette distance diminuera, notre action elle-même variera et de forme et d’intensité. Orientée initialement sur les destructions, elle sera dirigée, par la suite un peu plus vers l’aide directe aux troupes alliées puis diminuera beaucoup lorsque nous serons dans la zone de 5 à 10 km en arrière du front (côté allemand) puis brusquement atteindra son maximum avant la jonction aux troupes alliées. Il est évident que cette action sera conditionnée par l’attitude de l’ennemi et qu’en cas de retraite de ce dernier, notre rôle sera beaucoup plus agressif à la condition d’avoir des munitions. »

Mais des armes et des munitions, le groupe de Pierre Maujean en manque. Heureusement, dans la nuit du 26 au 27 août, la Résistance axonaise reçoit un parachutage au Val Saint-Pierre, près de Tavaux. Dans l’après-midi du 27 août, les 12 containers contenant notamment 28 pistolets-mitrailleurs Sten, 6 fusils-mitrailleurs Bren, 36 fusils, 8 400 cartouches pour les Sten et 11 400 cartouches pour les Bren sont répartis entre le secteur de Tavaux et le secteur de Saint-Erme. Le 30 août dans la matinée, ces armes sont nettoyées et rendues opérationnelles par Pierre Maujean et ses hommes, qui sont désormais impatients de les utiliser. Ayant appris que les premiers éléments américains ont atteint Agnicourt-et-Séchelles, à 4 km de Tavaux, le groupe de résistants décide de passer à l’action et se scinde en deux groupes dans le but de rejoindre le village de Saint-Pierremont, afin d’y empêcher la destruction du pont sur la Serre.

Portraits de résistants FFI du secteur de Tavaux en 1944

Près du café de la place, la dizaine de résistants sous la conduite de Pierre Maujean croise cependant la route d’un groupe de soldats SS, et un échange de tirs a lieu. A l’issue de cet engagement, un soldat allemand blessé est fait prisonnier et deux autres parviennent à s’enfuir en direction de Marle où ils parviendront à donner l’alerte, non sans avoir mortellement blessé dans leur fuite un résistant, Henri Mourain. Peu de temps après, un camion allemand chargé de fûts d’essence traverse Tavaux en venant de Marle, et se trouve à son tour pris à parti par les résistants, mais réussit à passer. Les accrochages sont alors nombreux dans le secteur, et au même moment, un véhicule allemand venant de Montcornet est aussi la cible des tirs d’un résistant alors qu’il pénètre dans le village. Là-encore, le résultat est mitigé, car si un officier allemand est tué, son chauffeur réussit à fuir.

En fin de matinée, vu le nombre d’incidents ayant eu lieu au sein même du village, ce qui n’était pas prévu, le risque de représailles est alors très élevé pour le village de Tavaux, et leur chef Pierre Maujean ordonne donc à ses hommes de déplacer leur dépôt d’armes et de munitions dans le bois des Chaudriers, à quelques centaines de mètres au nord-est de Tavaux, tandis que des agents de liaison sont envoyés auprès des secteurs F.F.I. voisins afin que des renforts soient envoyés au plus vite.

La « chasse aux terroristes »

Mais ce que redoutaient les résistants finit par arriver : il est 13h30 quand les premiers véhicules blindés allemands, dont trois chars Tigre et deux automitrailleuses, venant de Marle et de Montcornet, encerclent le village de Tavaux, tandis que des soldats SS descendent d’un camion. Ces hommes et ces véhicules appartiennent aux 1. SS-Panzer-Division « Leibstandarte SS Adolf Hitler » et 12. SS-Panzer-Division « Hitlerjugend », dont les reliquats ont été rassemblés en deux Kampfgruppen sous les ordres du SS-Standartenführer Mohnke et du SS-Oberführer Meyer, qui se replient alors vers le nord-est du département, tenant les ponts sur la Serre entre Marle et Montcornet. Les résistants de Tavaux, qui sont alors au bois des Chaudriers, ne peuvent se douter qu’une opération de représailles aveugle est sur le point de commencer, mais après avoir entendu au loin le bruit des explosions, trop faiblement armés, ils décident vers 14h30 de se replier sur la forêt du Val-Saint-Pierre.

La place, ruines de la maison Fournier

Une fois le village investi par les troupes allemandes, l’opération de représailles commence, méthodiquement, les SS cherchant à châtier ceux qu’ils nomment « terroristes ». Les coups de canons commencent, puis les portes et les volets sont enfoncés tandis que résonne le bruit des balles. Surpris par ces explosions, tous les civils qui le peuvent se réfugient alors dans les tranchées creusées à l’arrière des maisons, dans les jardins, en cas d’attaque aérienne. Au même moment, remontant la Grand’Rue, presque toutes les habitations et les fermes sont pillées tandis que les objets les plus combustibles sont rassemblés et arrosés d’essence avant d’être incendiés. Des habitants sont pris en otages et rassemblés dans la maison du percepteur et à la Poste, en face de la mairie de Tavaux. Plus loin dans le village, des SS ivres abattent en pleine rue des vieillards et des enfants et lancent des grenades incendiaires dans les caves. Arrivés rue des Bernats où habite Pierre Maujean, le massacre se poursuit, impitoyable, hommes et femmes sont abattus, dont la femme du chef des résistants de Tavaux, Odette Maujean, et Simone Vie, également épouse d’un résistant.

Odette Maujean

Un résistant resté au village, Arthur Clémensart, parvient à sauver les enfants de Pierre Maujean qui avaient été enfermés à la cave de leur maison, et à empêcher que le feu s’y propage. Ayant rejoint ses camarades, il aura la douloureuse mission d’annoncer le décès de sa femme à Pierre Maujean. Alors qu’il est entre 16h et 17h, le village se consume et les résistants de Tavaux, sachant désormais ce qu’il vient de se passer, veulent retrouver leur famille au plus vite, mais le village reste dangereux. En effet, si les SS quittent Tavaux entre 17h et 18h, il semble que d’autres colonnes allemandes en repli continuent de passer par le village dans la soirée, ce qui incitera d’ailleurs à la prudence les avant-gardes américaines qui se trouvent alors à Montigny-le-Franc. La nuit venue, les Allemands tentent de faire sauter le pont de Pontséricourt tandis que dans les rues de Tavaux encore emplies d’une odeur de brûlé, les survivants tentent prudemment de retrouver leurs proches.

La découverte du massacre de Tavaux

Alertés durant la nuit, les résistants des groupes de Saint-Erme, Sissonne, Boncourt et Clermont-les-Fermes montent à bord de camions et font route pour venir au secours de Tavaux. Le 31 août 1944 vers 13h15, secondés par un blindé américain, entre 150 et 300 résistants F.F.I. arrivent à Pontséricourt et échangent des coups de feu avec des soldats allemands durant un grande partie de la journée, un groupe de soldats épaulés par des chars Tigre tenant encore l’ouest du village autour du château et de l’église. Mais rapidement c’est au docteur Henri Samain, chef du service de santé FFI, et aux brancardiers qui l’accompagnent, de constater l’ampleur du massacre. Ils viennent en aide aux blessés mais ont aussi la douloureuse mission de dresser la liste des victimes, dont voici la transcription :

  1. Madame Caillot Claire, 65 ans, née Lefèvre Henriette, gît à l’entrée de sa cave, pied gauche broyé, crâne défoncé. Il a été établi que ces blessures ont été produites par une grenade.
  2. Madame veuve Carlier, 87 ans, née Mensuelle, balle dans le front. Cette femme s’est mise aux genoux des Allemands en leur disant : « Ne me tuez pas, je suis qu’une pauvre femme ; je ne vous ai pas fait de mal », un coup de revolver a interrompu ses supplications.
  3. Monsieur Oudelet Ernest, 65 ans, balle dans la région lombaire. Blessé le 30, cet homme a pu se traîner dans le coin d’une pâture. Il est mort le 31 au matin sans avoir pu être secouru.
  4. Madame Lalin Mathilde, 80 ans, balle dans la région temporale.
  5. Monsieur Lalin Noël, 40 ans, fils de la précédente. Balle près de l’oreille gauche. Cet homme, manchot, gît au bas des marches d’une petite cave. Pour le sortir plus commodément, un de nos brancardiers attache le bras unique de ce cadavre avec la ceinture qui maintient le pantalon. Le souci de la vérité m’oblige à rectifier une erreur qui a été propagée : les Allemands n’ont pas attaché le bras de Monsieur Lalin avant de le massacrer.
  6. Hurson Jocelyne, 8 ans, balle dans la nuque.
  7. Hurson Roland, 11 ans, balle dans la nuque.
  8. Madame Lefèvre Angèle, née Boin, 57 ans, balle dans la région mastoïdienne droite. Cette femme et les trois enfants (6, 7 et 8) sont serrés les uns contre les autres dans le coin le plus sombre de la cave. L’Allemand qui les assassina, n’a pas « tiré dans le tas » mais il a successivement approché son arme contre la nuque de chacune de ses victimes.
  9. Mme Coquelet Aurelia née Delplanque, 80 ans, balle dans le front et genou droit.
  10. Monsieur Bedoux Pierre, 74 ans, balle dans la région du cœur.
  11. Madame Bedoux Pierre, 70 ans, 2 balles dans la région du cœur.
  12. Madame Vie née Poulet, 34 ans, balle dans le dos, carbonisation étendue de la surface du corps.
  13. Monsieur Rasset Albert, 66 ans, balle dans l’orbite droite, carbonisation étendue de la surface du corps.
  14. Monsieur Clémensart Théophile, 70 ans, balle dans le dos. Monsieur Clémensart a encore dans la main le pain qu’il était en train de manger.
  15. Madame veuve Lebrun née Duchenne, 69 ans, balle dans la tête.
  16. Madame Mennesson, 70 ans, sœur de Monsieur Demonceaux, balle dans la tête et la poitrine, a été ramenée dans la maison par son frère. La maison n’est pas brûlée, hasard incroyable. Monsieur Demonceaux nous explique comment il a échappé au massacre en se cachant dans le fumoir où il s’apprêtait à placer un jambon. Les Allemands sont passés à quelques centimètres de lui sans le voir, il pleure.
  17. Madame Maujean, née Dromain, 30 ans, femme du chef des F.F.I. de Tavaux. Balle sous le maxillaire inférieur, balle dans la cuisse droite, carbonisation étendue de la surface du corps. Cette mère de famille a été assassinée, arrosée d’essence et brûlée sous les yeux de ses cinq enfants. C’est miracle que les enfants n’aient pas été eux-mêmes brûlés vifs.
  18. Chalmet Marcel, 18 ans, balle dans la région thoracique supérieure droite.
  19. Debois Alfred, 46 ans, balles dans la tempe gauche et le thorax.
  20. Madame Milzareck Joséphine, 44 ans, complètement carbonisée.

Averti à Bucy-lès-Pierrepont du massacre, l’abbé Avot, à la demande du docteur Samain, s’occupe des cercueils et prépare une soupe chaude pour les rescapés qui sortent peu à peu de leurs abris. Le lendemain 1er septembre, les cloches de Tavaux résonnent à nouveau afin d’appeler la population encore cachée dans les bois environnants à revenir au village où, dans les ruines encore fumantes, on prépare les obsèques des victimes qui auront lieu le 2 septembre.

Madame Trancart devant les ruines du Café de la Place
Monument des massacrés de Tavaux

La mémoire des massacrés de Tavaux

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la douleur est encore vive pour les habitants de Tavaux, et grâce aux dons et à la solidarité, la vie reprend peu à peu tandis que les maisons sont rebâties au fil des années. Village de la résistance victime de la barbarie nazie, la commune de Tavaux-et-Pontséricourt recevra la Médaille de la Résistance par décret du 31 mars 1947. Soucieux de faire perdurer la mémoire des victimes, ce monument, inauguré le 30 août 1947, leur rend hommage. Depuis 2007, la mention « Fusillés » qui précédait la liste des victimes du massacre du 30 août 1944 a été remplacée par l’inscription « Massacrés ».

Créée en 2008, l’Association pour un Mémorial départemental des villages martyrs de l’Aisne œuvre aujourd’hui pour perpétuer le souvenir des victimes du massacre de Tavaux, ainsi que celui de tous les villages qui furent touchés par les exactions nazies dans l’Aisne durant la Seconde Guerre mondiale. Ce Mémorial a pu officiellement voir le jour en 2014 dans l’église Saint-Médard désaffectée de Pontséricourt et y retrace à travers une exposition permanente l’histoire des résistants du secteur, du massacre de Tavaux et des autres villages martyrs de l’Aisne.

Le mémorial des villages martyrs de l'Aisne

Une borne pour la mémoire


Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière le monument des massacrés de Tavaux, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 30 août 2024.

Consultez le témoignage en vidéo, de Madame Georgette Boulande, habitante de Tavaux

©Archives départementales de l’Aisne

  • PLOMION

Publié le 04 sep 2024 - Mis à jour le

31 août 1944, les martyrs de Plomion

A la fin de l’été 1944, talonnée par les avant-gardes de l’armée américaine, l’armée allemande est en plein repli et les accrochages sont nombreux avec les résistants, et le 31 août 1944, des SS prennent 14 hommes en otages à Plomion puis les exécutent tandis que 36 maisons sont incendiées.

Un département théâtre du repli allemand

A la fin du mois d’août 1944, le département de l’Aisne est le théâtre du repli allemand. Alors que les éléments avancés de la 3e division blindée américaine traversent le Laonnois, les restes des divisions blindées SS Adolph Hitler et Hitlerjugend rassemblées en un Kampfgruppe sous les ordres du SS-Standartenführer Mohnke se replient vers le nord-est du département et tiennent les ponts sur la Serre entre Marle et Montcornet. Harcelés par les résistants qui procèdent à de nombreux sabotages et embuscades pour les ralentir, des éléments SS commettent déjà des exactions, comme à Tavaux-et-Pontséricourt le 30 août, où ils incendient 86 maisons et massacrent 20 civils innocents après un accrochage avec les résistants locaux. Dans un contexte de tension extrême où les civils peuvent à tout instant être à la merci de troupes allemandes accoutumées aux exactions sur le front de l’Est, la Libération approche néanmoins pour les Axonais.

Des représailles à une embuscade

La famille Jouart

Il est à peine 15h au clocher de l’église fortifiée de Plomion quand une trentaine de soldats allemands à bord d’un camion sont pris pour cible par la Résistance à proximité du Pont Bourton qui enjambe le Huteau sur la route entre Plomion et Nampcelles-la-Cour. Les Allemands s’arrêtent à l’entrée de Plomion et font constater les impacts de fusil par le garde-champêtre, Alfred Gobinet, dont le domicile se situe à proximité. Furieux, ils repartent donner l’alerte à Bancigny, et sont bientôt rejoints par d’autres véhicules SS. Remontant les rues du village, les SS reçoivent l’ordre de prendre 20 otages et de brûler Plomion. Leur première victime sera le garde-champêtre, Alfred Gobinet, qu’ils prennent en otage tandis que sa maison est incendiée. Arrivés sur la place du Calvaire, les marchands-forains de la famille Jouart sont à leur tour arrêtés, tandis que toutes les maisons de la rue de Vervins sont pillées et incendiées à l’aide d’essence et de grenades incendiaires. Le notaire, Léon Mandron, qui parle allemand, tente bien de parlementer avec les SS, mais sa démarche le condamne à son tour. Peu à peu, 17 hommes sont rassemblés en colonne, parmi lesquels le garde-forestier Paul Lebrun, Frantz Legrand, le gérant du bar-tabac ou encore Georges Thibolot, gardien de la paix à la retraite. Deux otages réussissent heureusement à s’échapper et Alfred Gobinet, déjà âgé, est relâché. Violentés à coups de crosse et à coups de pieds, les 14 otages restants sont maintenus durant deux heures avec les mains sur la tête tandis que la moitié des maisons de Plomion brûlent sous leurs yeux.

L’exécution des otages

Les corps des fusillés de Plomion © Arch. du
Musée de la Résistance et de la Déportation
de Tergnier

Vers 17h30, après deux heures de calvaire au milieu du village en proie aux flammes, les 14 otages sont poussés par leurs bourreaux jusque dans une pâture à la sortie nord de Plomion, sur le chemin du Petit Lugny. Ils s’appelaient : Pierre Boucher, 20 ans, André Colombe, 34 ans, Edmond Jouart père, 68 ans, Edmond Jouart fils, 34 ans, Ferdinand Jouart, 41 ans, Désiré Jouart, 25 ans, Fernand Jouart, 16 ans, Frantz Legrand, 35 ans, Emile Lefèvre, 29 ans, Paul Lebrun, 29 ans, Léon Mandron, 45 ans, Paul Minez, 18 ans, Georges Thibolot, 56 ans, Eugène Valle, 72 ans. 

Les corps des fusillés de Plomion © Arch. du
Musée de la Résistance et de la Déportation
 de Tergnier

A 18h, ces vieillards, ces hommes et ces adolescents commencent à être méthodiquement et froidement exécutés. Un témoin caché derrière une haie racontera alors : « Ils arrivent par groupes de trois et sont alignés près d’une haie. Six boches, commandés par un lieutenant, tirent d’une distance de trois mètres, une première rafale de mitraillette dans les jambes des innocents. Après qu’ils furent tous tombés, une deuxième rafale les frappe en plein corps. S’acharnant sur eux, les barbares leur fracassent la tête à bout portant ».

Certains corps seront effectivement tailladés et défigurés à coups de baïonnettes, avant que les SS ne quittent les lieux du massacre.

 

 


La mémoire des martyrs de Plomion

L'école transformée en chapelle ardente

Les corps des otages fusillés à Plomion ne seront découverts que le lendemain. Ils seront alors transportés à l’école du village, transformée en chapelle ardente. L’on pouvait lire alors, écrit à la craie sur les tableaux noirs : « Français, souvenez-vous de nos martyrs lâchement assassinés par les boches » et « Nos Alliés les vengeront ». Les responsables de ce massacre ne furent jamais clairement identifiés ni condamnés, mais il pourrait s’agir d’hommes du SS-Panzergrenadier-Regiment 25, qui faisaient partie de la 12. SS-Panzer-Division Hitlerjugend, commandée par le SS-Brigadeführer Kurt Meyer, dont la présence non loin des lieux fut attestée à la même période.

 

 

 

 

Les funérailles des martyrs de Plomion ©Arch.
du Musée de la Résistance et de la Déportation
de Tergnier

En souvenir des hommes qui furent massacrés le 31 août 1944, un monument fut érigé quelques années après la guerre sur les lieux mêmes de leur martyr. Réalisé sur les plans de l’architecte R. Cabet et du sculpteur R. Antoine, ce monument se compose de 14 stèles symbolisant les victimes du massacre de Plomion et l’emplacement où elles sont tombées. Au-dessus des stèles sont symbolisés différents attributs correspondant aux métiers des 14 fusillés : agriculteur (faux, bêche, gerbe de blé), rémouleur (ciseaux), gardien de la paix (casque, écusson, matraque), mécanicien (tournevis, roue, pied à coulisse), serrurier (clés, meule) ou encore notaire (livre de la loi, stylet). 

 

Les funérailles des martyrs de Plomion ©Arch. du Musée de la Résistance et de la Déportation de Tergnier

La commune de Plomion veille désormais sur la mémoire de ces victimes de la barbarie nazie. En 2016 fut inaugurée la place Jouart en souvenir de la famille de forains qui y furent arrêtés et fusillés, et une cérémonie a lieu chaque année en mémoire des 14 fusillés de Plomion.

Une borne pour la mémoire


Borne Aisne Terre de mémoire Plomion

Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière le monument qui honore leur souvenir, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 25 août 2024.

  • ERLOY

Publié le 09 sep 2024 - Mis à jour le

Août-Septembre 1944, le maquis d'Erloy

Maquis de la vallée de l’Oise constitué au début de l’année 1944, le maquis d’Erloy sera confronté au repli allemand au début du mois de septembre 1944 et devra y faire face, contribuant à la Libération de son territoire, non sans pertes, ainsi que le rappelle la stèle qui rend hommage aux morts du maquis.

 La structuration de la résistance en Thiérache

A la fin de l’hiver 1944, il ne fait plus aucun doute que le printemps s’accompagnera d’un débarquement allié sur les côtes françaises, premier pas vers la Libération de l’Europe. Par conséquent, dès le mois de mars 1944, les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne, rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) Jean Marie de Sarrazin (1911-1972), constituent cinq groupements dans le département afin d’organiser l’action des Forces Françaises de l’Intérieur naissantes aux côtés des alliés le moment venu. Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanant du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront combiner l’action des groupes de résistance.

Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise à renforcer l'efficacité de la résistance en vue de la Libération. C’est ainsi que le Groupement C voit le jour, sous la direction du capitaine Jean Merlin, couvrant l’arrondissement de Vervins. Rapidement celui-ci fédère la plupart des groupes de résistance, notamment dépendant de l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.) dont il fait lui-même partie, et de l’Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A.), les rapports avec les Francs-Tireurs et Partisans Français (F.T.P.F.) étant plus tendus. Au sein du Groupement C, les groupes s’organisent en vue de la Libération, mais doivent aussi faire face à la nécessité d’accueillir des réfractaires au Service du Travail Obligatoire mis en place par l’Etat français, et c’est ainsi que les premiers maquis voient le jour dans la géographie de forêts et de bocages thiérachiens si propice à la clandestinité.

C’est le cas du Maquis de la Forêt du Régnaval, également appelé « Maquis d’Erloy » de par la proximité de ce village, qui va se constituer à l’été 1944 sous la direction du lieutenant puis capitaine Marc Lavigne, 34 ans, alors le chef du secteur O.R.A de « Guise-Périphérie ». C’est lui qui rédigera après le conflit, l’historique du maquis qui constitue l’une des seules sources principales sur l’histoire des hommes qui le composèrent.

La constitution du maquis de la forêt du Régnaval

A l’origine, le maquis qui se constitue dans la forêt du Régnaval était destiné d’après le capitaine Lavigne, à accueillir les réfractaires au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) et offrir une base de repli aux résistants qui risqueraient d’être arrêtés au moment de la Libération. Cette forêt avait en effet été choisie sur les recommandations de l’adjudant-chef Guy Dournelle alias « Dassy », car disposant d’une bonne situation, à proximité d’une ferme isolée (la ferme Hollande) qui pourrait servir de point de ralliement. Par ailleurs au cœur d’un territoire boisé et parsemé de nombreuses haies, la défense contre une attaque allemande y serait plus aisée et le refuge sûr, en hauteur, permet aux guetteurs de voir venir un adversaire. Qui plus est la forêt est parcourue par cinq ruisseaux et on y trouve plusieurs sources, ce qui permettrait un approvisionnement en eau. Enfin, l’aide susceptible d’être apportée par la majorité de la population locale avait achevé de convaincre de la pertinence de ce choix. Un groupe O.R.A. y est créé, avec pour chef Claude Cauchy puis Pierre Chauderlier, et jusqu’en juin-juillet 1944, l’activité du maquis comprend 4 maquisards et 11 sédentaires locaux, qui se contentent de prévoir les conditions d’accueil, de rechercher et de stocker les matériels et les vivres.

La forêt du Régnaval
La forêt du Régnaval


Le 20 juillet 1944, le capitaine Malecot, chef départemental O.R.A., et le D.M.D., le commandant De Sarrazin, demandent au lieutenant Lavigne, promu pour l’occasion capitaine, de faire du maquis d’Erloy une structure logistique susceptible d’organiser des unités combattantes. Le moment venu, leur mission serait de saboter les lignes téléphoniques, les voies ferroviaires, et multiplier toutes les initiatives pour démoraliser les troupes allemandes avant de passer à la lutte armée ouverte à l’approche des troupes alliées. La question de l’armement, dont le manque est partout criant, est immédiatement soulevée par le capitaine Lavigne, et un parachutage est promis. Le lendemain, le capitaine Lavigne nomme immédiatement deux chefs de sections : le sous-lieutenant Albert Janeau et l’adjudant-chef Norbert Dorigny et commence à rassembler des effectifs qui pourraient être mobilisés le moment venu, épaulé dans cette tâche par Guy Dournelle pour l’organisation logistique indispensable à l’installation d’un maquis.

Les volontaires que le capitaine Lavigne parvient à rassembler proviennent alors de toutes les couches sociales : ouvriers agricoles et d’usines, agriculteurs, fonctionnaires et militaires (gendarmes), professions libérales. Il y aura aussi trois femmes. Durant l’été 1944, Guy Dournelle renforce les conditions d’accueil du maquis (matériel de campement notamment), améliore le ravitaillement en vivres (dons, réquisitions et prises de cartes d’alimentation dans les mairies) ainsi que l’habillement constitué de treillis bleus, et constitue même un groupe sanitaire avec un médecin, le docteur Tavernier, deux infirmières, Paule Loiseleux et Denise Soenen, et un fourgon aménagé en ambulance. Mais pour se préparer au combat il faut surtout des armes, et depuis la destruction du stock du maquis de La Coupille le 7 juillet 1944, les armes disponibles se font rares dans la vallée de l’Oise. Au milieu du mois d’août 1944, le capitaine Lavigne rend compte au chef départemental qu’il a pu rassembler les effectifs demandés (environ 85 hommes et femmes), mais qu’il ne dispose d’aucun armement valable. Faute d’un armement suffisant, les résistants du maquis d’Erloy ne participent donc que peu aux actions menées par la Résistance depuis le mois de juin 1944, bien qu’ils participent à quelques sabotages qui permettent de renforcer la cohésion, l’instruction et l’entraînement des groupes.

Le maquis prend de l’envergure

C’est à partir du 11 août 1944 que la situation du maquis d’Erloy va considérablement changer. En effet, un train de prisonniers russes est bombardé à Marle et de nombreux prisonniers en profitent pour s’évader et se dispersent dans la campagne. Pris en charge par les résistants, un groupe de 60 évadés arrive le 12 août près d’Erloy, conduits par le sergent-chef Lalouette (sous-officier de réserve). N’ayant d’autre refuge suffisamment sûr pour ces évadés blessés, affaiblis et fatigués que la forêt du Régnaval, Pierre Chauderlier, qui commande le groupe F.F.I. (O.R.A.) d’Erloy, décide alors de les installer à l’emplacement prévu pour le maquis. Dans les jours qui suivent d’autres prisonniers russes évadés les rejoignent, et ce sont bientôt 127 russes commandés par un capitaine et un lieutenant qui prennent leurs quartiers dans la forêt, régulièrement visités par le docteur Tavernier et le docteur Sablon.

Sous la responsabilité du sergent-chef Lalouette qui parle allemand et peut échanger avec les officiers russes, le « maquis russe » voit ainsi le jour, mais compromet grandement la possibilité de mobiliser le maquis O.R.A. le moment venu, puisque les installations et les vivres rassemblées depuis deux mois vont devoir servir plus tôt que prévu. Sans armes et proche du village d’Erloy, le maquis russe pourrait par ailleurs constituer une cible facile pour les forces d’occupation allemandes s’il venait à être repéré. Par conséquent, le 16 août 1944, le capitaine Lavigne, après s’être rendu compte par lui-même des risques encourus, décide d’installer le maquis russe plus profondément dans la forêt, cinq réfractaires au S.T.O. devant maintenir les liaisons entre la résistance et le maquis russe. Légitimement inquiets pour leur sécurité, les officiers russes ne pourront toutefois recevoir que 12 fusils et 8 pistolets-mitrailleurs des résistants qui manquent déjà eux-mêmes cruellement d’armement, mais le 28 août, ils auront toutefois l’occasion de récupérer sans combat l’armement et le véhicule d’un groupe de six soldats allemands attablés au café d’Englancourt, non sans les avoir faits prisonniers par la même occasion.

« A la fin de l’envoi, je touche »

L’emplacement prévu pour le maquis O.R.A. désormais libre, le rythme des préparatifs pour l’équipement des groupes de combat s’accélère en quelques jours, tandis qu’il faut en parallèle approvisionner le maquis russe. Mais le temps presse, car les troupes alliées progressent de jour en jour. Le 25 août, Paris est libérée, toutefois le temps de la mobilisation du maquis n’est pas encore arrivé. En effet, les ordres que reçoivent les F.F.I. sont alors clairs : la circulaire n°10 du 6 juillet du chef départemental de la Résistance, le commandant De Sarrazin, précise clairement dans quel cadre le combat contre les troupes allemandes devra être engagé par tous les groupes de F.F.I. :

« Quand les troupes alliées seront à moins de 60 km de notre zone et au fur et à mesure que cette distance diminuera, notre action elle-même variera et de forme et d’intensité. Orientée initialement sur les destructions, elle sera dirigée, par la suite un peu plus vers l’aide directe aux troupes alliées puis diminuera beaucoup lorsque nous serons dans la zone de 5 à 10 km en arrière du front (côté allemand) puis brusquement atteindra son maximum avant la jonction aux troupes alliées. Il est évident que cette action sera conditionnée par l’attitude de l’ennemi et qu’en cas de retraite de ce dernier, notre rôle sera beaucoup plus agressif à la condition d’avoir des munitions. »

Par conséquent, il faut attendre la diffusion d’un message spécifique sur les ondes de la B.B.C. avant de réunir le maquis et le lancer dans la guérilla. Le 30 août 1944, le message tant attendu, extrait d’une tirade de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, est diffusé à la radio : « A la fin de l’envoi, je touche ». C’est le signal : les résistants doivent prendre le maquis.

André Cornu témoignant de son histoire de résistant
en 2016

 

Le dernier d’entre eux, André Cornu, décédé en 2018, se souviendra :

« Suite à l’appel du général de Gaulle mobilisant tous les maquisards pour se rendre au combat, nous sommes partis de Guise à six heures du matin avec cinq camarades, tous des volontaires et conscients de rendre service au pays. La peur, on ne la connaissait pas. J’allais avoir 19 ans. La route, à travers les petits chemins et pâtures, pour se rendre à Erloy, semblait longue. Il fallait plus de 20 kilomètres pour s’y rendre. À tout moment on pouvait tomber sur des Allemands : être arrêtés, contrôlés, voire même fusillés. Une chance, le parcours s’est effectué sans embûche. »

Au cours de la nuit, tous les volontaires rassemblés depuis deux mois par le capitaine Lavigne rejoignent le maquis et les unités s’organisent : 2 sections à 2 groupes de 15 hommes sont formées, l’une par le sous-lieutenant Albert Janeau et l’autre par l’adjudant-chef Norbert Dorigny, soit un total de 60 hommes, auxquels s’ajoutent un groupe de commandement et liaisons de 8 à 10 hommes conduits par le capitaine Lavigne, et le soutien logistique, l’intendance et le service de santé de 10 à 15 hommes et femmes.

Si les groupes se constituent rapidement, l’appel au maquis est également entendu par beaucoup d’autres résistants, et le 31 août, des résistants de « Guise-Ville » non-prévus dans l’effectif normal du maquis affluent vers le lieu de rassemblement, la ferme Hollande. Si certains sont armés et peuvent être incorporés, que faire des autres dont certains peuvent être des infiltrés des forces de répression de Vichy ou de la police allemande ? La décision est prise de renvoyer les plus âgés chez eux et de ne garder que les éléments sûrs sous la conduite de sous-officiers d’active ou de réserve expérimentés qui les ont également rejoints. L’adjudant Emile Ribeaux, l’aspirant René Delebut ou encore le sergent-chef Leleu constituent ainsi des sections, assistés de volontaires qualifiés comme Claude Alluchon et Marian Szablenski.

Mais comme pressenti depuis le mois de juillet 1944 par le capitaine Lavigne, c’est l’armement qui fait toujours cruellement défaut pour l’ensemble des effectifs qui se rassemble désormais, bien qu’un des résistants, Georges Alluchon, ait amené quelques armes dans un véhicule. Il faut attendre le 31 août dans la soirée pour qu’un véhicule venant d’Etreux apporte 3 fusils-mitrailleurs, 6 pistolets-mitrailleurs et 23 fusils, qui ne couvriront d’ailleurs pas les besoins, et nécessiteront d’être dégraissés et assemblés avant d’être utilisables, puisque provenant directement d’un parachutage. Avant la tombée du jour, les maquisards commencent donc à tout nettoyer et assembler les armes, mais ne peuvent le poursuivre de nuit, les bougies risquant d’incendier la paille dans les granges, et donner l’alerte aux patrouilles allemandes dans la région.

Le maquis d’Erloy face aux troupes allemandes

Aux premières lueurs du jour du 1er septembre 1944, les évènements vont se précipiter pour les maquisards encore installés dans la ferme Hollande, attendant d’autres livraisons d’armes hypothétiques. Dès 8h, les guetteurs placés à l’entrée du village d’Erloy signalent l’arrivée d’un détachement allemand avec deux blindés. L’ordre de repli vers la forêt est alors immédiatement donné, et tout le matériel important est emmené dans les bois par les maquisards, sous la protection du seul fusil-mitrailleur en état de fonctionner, servi par l’adjudant Ribeaux. Pendant ce temps, tout ce qui ne peut être transporté (les voitures notamment) est camouflé. Un quart d’heure plus tard, la présence des soldats allemands dans Erloy est confirmée par une patrouille. Il semble alors que ces soldats recherchent des résistants après un accrochage qui a eu lieu entre Saint-Algis et Erloy. Le détachement allemand ne progresse pas jusqu’à la ferme mais découvre en mairie d’Erloy des tenues de F.F.I. et prend en otages une trentaine d’habitants qui sont enfermés dans une grange.

Vers 9h, une voiture allemande se dirige vers le maquis et s’arrête devant les guetteurs Claude Alluchon et Marian Szablenski qui tirent : 3 soldats allemands sont touchés mais la voiture repart. Peu après, une troupe allemande à pied tente de s’infiltrer en forêt mais se heurte aux sentinelles russes et l’un de ces derniers nommé Zelio est tué tandis qu’un soldat allemand est tué et un autre blessé. Pour les maquisards de l’O.R.A. comme pour les Russes, la situation est alors critique et une attaque massive est à craindre, c’est pourquoi le sergent-chef Lalouette et les officiers russes décident d’évacuer leur campement. Dans leur repli précipité, ne pouvant les emmener avec eux, les Russes commettent cependant un crime de guerre en jetant une grenade dans la tente où ont été installés six prisonniers allemands : trois sont tués et les trois autres blessés.

Vers 10h, les maquisards reçoivent un renfort de poids avec l’arrivée de 24 prisonniers nord-africains libérés par les FFI de Guise et convoyés par Albert Janeau et Georges Delaplace. Parmi eux les noms de Saïd Benkirat, Saïd Dhaini ou encore Mohamed Latreche sont connus au sein des archives militaires, mais il n’a pas été possible de retrouver les autres noms de ces prisonniers libérés. Leur appoint permet de constituer des groupes qui renforcent les sections O.R.A. mais la principale inquiétude des maquisards perdure néanmoins : que font les Allemands repérés dans Erloy ? Les deux infirmières Paule Loiseleux et Denise Soenen se portent alors volontaires pour effectuer une reconnaissance et rapportent bientôt des renseignements : les Allemands sont en train de miner le pont qui est gardé par une trentaine d’hommes avec deux blindés. Un autre groupe garde la grange où sont enfermés les otages.

Manquant d’armes et de munitions et ne pouvant intervenir sans risquer la vie des otages, les maquisards ne peuvent rien entreprendre à Erloy, mais vont pouvoir agir dans le village voisin d’Englancourt. A 10h30, Guy Dournelle et son groupe informe le capitaine Lavigne que le pont d’Englancourt est gardé par les Allemands mais que les Américains sont en approche, deux agents de liaison du maquis, Claude Alluchon et Daniel Grançon ayant même traversé l’Oise à la nage pour avertir ces derniers. En début d’après-midi, les troupes américaines peuvent ainsi prendre à revers les Allemands, aidés par une section du maquis commandée par l’adjudant Ribeaux. Pendant ce temps, le capitaine Lavigne tente lui-même une reconnaissance avec deux sections en direction d’Englancourt mais est bloqué par les Allemands à 300 mètres au nord-ouest d’Erloy.

Ayant entendu les bruits des échanges de tirs et craignant un encerclement, les groupes de soldats allemands qui occupent Erloy finissent par se replier dans l’après-midi, faisant sauter le pont et abandonnant les otages qui sont libérés peu après, évitant des exactions comme ceux que Plomion ou Tavaux avaient connu les jours précédents.

Les maquisards passent à l’offensive

Toute menace sur les civils d’Erloy étant désormais écartée, le maquis O.R.A. peut désormais achever de s’organiser militairement et participer à la Libération aux côtés des troupes américaines désormais au courant de l’existence du maquis. Dès lors, conformément aux ordres reçus de l’état-major des F.F.I., les groupes de maquisards sous le commandement du capitaine Lavigne vont être employés de manière offensive pour assurer des missions de reconnaissance et d’appui aux colonnes blindés alliées qui poursuivent leur avance, tendre des embuscades aux détachements allemands en repli et les attaquer si nécessaire pour les stopper. Ainsi qu’en témoignera André Cornu, ancien maquisard d’Erloy :

« Le capitaine Lavigne était un homme exceptionnel, un combattant exemplaire, prêt à en découdre avec l’ennemi, mais en évitant toute bavure ou excès. Son but : accomplir des missions d’accrochages sur les deux rives de l’Oise. »

Dès 15h ils sont mis à contribution par un lieutenant américain de retour de Buironfosse pour sécuriser le carrefour du hameau du Boujon, au nord de la forêt du Régnaval, ce dont se charge le sous-lieutenant René Janeau avec la section de René Debelut. A 16h30, à la demande d’un officier américain, six hommes conduits par René Debelut sont envoyés à la sortie Ouest de Buironfosse où des soldats allemands ont mis le feu à la ferme Monplaisir. Ils y prennent par surprise leurs adversaires et après 45 minutes de combat et un blessé (Pierre Maillet), tuent 6 soldats allemands, capturent deux véhicules et un blindé, mais aussi 1500 kg de vivres, 60 litres d’essence et une cassette contenant 7720 francs.

Malheureusement ce succès est endeuillé par un drame à Erloy. Rentrant d’Englancourt vers 17h, l’adjudant Ribeaux signale que deux maquisards venant de Guise en tenue mais sans armes, Alfred et Marcel Delore, ont été fusillés à l’entrée d’Erloy que l’on pensait libérée de toute colonne allemande. Cette nouvelle cause un véritable émoi parmi les maquisards, dont certains, à l’image de l’adjudant-chef Dournelle, sont gagnés par la colère et veulent faire fusiller en représailles les trois blessés allemands du maquis russe. Il faut toute l’autorité de l'adjudant-chef Dorigny et du capitaine Lavigne pour éviter un incident. Peu après, afin de calmer les sections de maquisards et mieux les reprendre en main, l’ordre est donné de quitter Erloy et de faire mouvement vers Chigny dans la nuit du 1er au 2 septembre afin de protéger le pont encore intact et essentiel pour le passage des troupes alliées, tandis que le nettoyage d’Erloy est laissé aux éléments locaux et au maquis russe.

Bernard Malet-Debeune

Le 2 septembre 1944, les escarmouches reprennent pour le maquis d’Erloy. Vers 5h du matin, au moulin d’Englancourt où les maquisards s’étaient installés pour bivouaquer et dormir quelques heures, deux d’entre eux, Michel Curillon et Emile Lebeau, sont blessés par balle. Arrivés au pont de Chigny, un dispositif défensif se met néanmoins rapidement en place entre 7h et 8h30, ce qui permet dès 9h40 à un convoi américain de franchir le pont sans dommage. Mais en ces temps d’avance alliée souvent très rapide et de repli allemand non moins rapide, il n'est jamais impossible qu’une colonne allemande surgisse derrière une colonne alliée, et c’est ce qui survient vers 10h. Un détachement allemand est en effet signalé au nord de Chigny et une reconnaissance de dix hommes conduits par le gendarme Bernard Mallet-Debeune est envoyée et tombe dans un piège : sept des dix hommes s’effondrent sous un feu nourri. Une demi-heure plus tard un convoi est signalé, à sa tête est repéré un véhicule de la Wehrmacht portant la Croix rouge, qui à peine arrivé à proximité des résistants fait descendre une vingtaine de soldats. Sous-équipés, les maquisards se cachent et la colonne allemande reprend sa route en montant la côte de Chigny où elle tombe sous le feu des sections du maquis en embuscade. 20 soldats allemands sont tués et un F.F.I., Claude Alluchon, est blessé au bras. Plus tard dans l’après-midi, le groupe de résistants F.F.I. de Montceau-sur-Oise/Malzy leur signale une soixantaine d’hommes près du hameau « Le Brulé » sur la route entre Chigny et Malzy. Immédiatement les sections de l’adjudant Ribeaux et du sergent-chef Leleu prennent position sur le plateau dominant la vallée afin d’interdire le passage vers Crupilly tandis que deux sections O.R.A. et une section F.T.P.F. sont maintenues au Nord de Chigny en vue de couper la retraite aux Allemands, mais les F.T.P.F s’élancent sans ordre, et les Allemands ayant découvert l’embuscade se replie au sud de l’Oise, établissant un bilan décevant pour les maquisards de 8 prisonniers allemands et de 5 soldats allemands tués dont deux officiers, auxquels viendront s’ajouter 17 autres prisonniers dans la journée lors d’opérations de « nettoyage » du secteur de toute présence adverse.

Ces opérations se poursuivent le lendemain 3 septembre dès le lever du jour, les sections du sergent-chef Leleu, de l’adjudant-chef Dournelle et de l’adjudant-chef Dorigny se déployant à l’Est de Chigny où une unité allemande a été signalée. Les soldats allemands qui ont bivouaqué dans ce secteur ont cependant pris soin de placer des guetteurs et de renforcer leur camouflage. Grâce à des tireurs de précision placés dans les pommiers d’un verger, les maquisards subissent un feu nourri lorsqu’ils attaquent, et deux hommes sont tués et cinq blessés, dont l’adjudant-chef Dournelle qui est évacué sur Marly-Gomont où il rencontre le capitaine Jean Merlin, chef du Groupement C des F.F.I., qui lui envoie une section de résistants d’Etréaupont parfaitement équipés en renfort, mais ils ne seront pas d’une grande aide, et sans l’aide de mortiers, tout nouvel assaut serait un suicide, et les maquisards reçoivent l’ordre de se replier à couvert tandis qu’à la faveur de la nuit, l'unité allemande parvient à s’échapper vers le nord.

Dans les jours qui suivront, plus aucun engagement d’envergure n’aura lieu et seules quelques opérations de ratissage dans la région permettront de faire une vingtaine de prisonniers. Résistants locaux et maquisards vont désormais pouvoir goûter un repos bien mérité après plusieurs jours de combats et après une dernière prise d’arme le 10 septembre au cimetière de Guise pour rendre les honneurs aux victimes des combats, le maquis sera dissous. Faute de sources, il est difficile encore aujourd’hui de recueillir des informations sur les hommes qui composèrent ce maquis et dont les combats viennent d’être relatés. Néanmoins, dans les archives du Groupement C des F.F.I. de l’Aisne, on trouve encore aujourd’hui des listes des hommes qui le composèrent ou firent partie de l’O.R.A. de « Guise-Ville » et « Guise-Périphérie », et c’est leur rendre hommage que de les citer : Robert Alart, Claude Alluchon, Gaston Bachelet, Roland Bara, Gaston Baron, Raymond Behague, Maurice Bernard, Marc Bultez, Charles Casseleux, Emile Collart, Henri Cornu (décédé le 8 juin 1944), Auguste Couez, Marcel Couplet, René Debelut, Marcel Darson, Noël Demarescaut, Raymond Dhuiege, Gilbert Dufour, Marcel Dufour, René Dupont, Maurice Duton, Henri Egret, Yves Fichaux, Jacques Garbe, Jean Gobert, Louis Guillaume, Henri Hautecoeur, Norbert Heusseer, Marc Lavigne, Oswald Lefèvre, Edouard Legrand, Jean Leger, Edouard Lepert, Jacques Lucien, Henri Meynard, Georges Morizio, Claude Nicolas, Armand Pamart, André Pardon, Jean Pardon, Paul Patte, Jean Pirotte, Paul Poindron, Emile Ribeaux, Emile Rolin, Edouard Szablewski, André Thiebaud, Marceau Thiefaine, Marcel Tricoteux, Fernand Turquin, René Veillot, Pierre Vigelle, Jules Vinchon, Jean Vireton.

Un monument en mémoire des maquisards

La stèle du maquis d'Erloy


La guerre terminée, les résistants d’hier reprirent le cours de leur vie, sans jamais pouvoir oublier cette période marquante. Particulièrement actifs autour de Jean Merlin et des anciens du Groupement C, les résistants de Thiérache vont œuvrer pour faire perdurer la mémoire de leurs camarades morts et des combats qu’ils avaient mené. Ces efforts aboutirent en 1975 à l’inauguration de la stèle du maquis d’Erloy à l’endroit même où les maquisards s’étaient retrouvés les 30 et 31 août 1944. Celle-ci rappelle le sacrifice d’un officier américain et des onze maquisards « Morts pour la France » entre le 1er et le 5 septembre, à Erloy et ses environs :

  • M. BENETT (Officier américain).
  • Saïd BENKIRAT, 33 ans, mort des suites de ses blessures le 8 octobre 1944 à Guise.
  • Eugène CAPLAIN, 23 ans, mort des suites de ses blessures le 4 septembre 1944 à Guise.
  • Georges DELAPLACE, 20 ans, tué en service commandé le 3 septembre 1944 à Guise.
  • Alfred DELORE, 51 ans, ancien combattant de la Grande Guerre, tué d’une balle dans la tête le 1er septembre 1944 alors qu’il se rendait au maquis d’Erloy.
  • Marcel DELORE, 23 ans, tué le 1er septembre 1944 alors qu’il se rendait au maquis d’Erloy avec son père.
  • Saïd DHAINI, Spahi au 2e régiment de spahis algériens, tué le 3 septembre 1944 et enterré à la nécropole nationale de la Désolation à Flavigny-le-Petit.
  • Mohamed LATRECHE, tirailleur au 19e régiment de tirailleurs algériens, tué le 2 septembre 1944 et enterré à la nécropole nationale de la Désolation à Flavigny-le-Petit.
  • Bernard MALET-DEBEUNE, 21 ans, gendarme ayant quitté sa brigade le 6 août 1944 pour rejoindre le groupe FFI de Proisy dont il devient le sous-chef, tué le 3 septembre dans l’attaque d’un groupe de soldats allemands retranchés dans le chemin du bois d’Ardon, à Chigny.
  • Bernard ROUSSELLE, 23 ans, tué au combat le 3 septembre 1944 à Chigny.
  • Camille THOUANT, 33 ans, mort des suites de ses blessures à Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt le 3 septembre 1944 (Décoré de la médaille de la Résistance à titre posthume).
  • M. ZELIO, 44 ans, soldat soviétique prisonnier évadé, tué au combat le 1er septembre 1944.

Chaque année, le second dimanche de septembre, une cérémonie commémorative a lieu près de ce monument, organisée par le Comité du Souvenir du maquis d’Erloy.

Une borne pour la mémoire


Inauguration borne Terre de mémoire Erloy

Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière ce monument, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 8 septembre 2024.

  • ETREUX

Publié le 03 sep 2024 - Mis à jour le

2 septembre 1944, le massacre du Gard d'Etreux et de la Junière

A la fin de l’été 1944, talonnée par les avant-gardes de l’armée américaine, l’armée allemande est en pleine retraite et les accrochages sont nombreux avec les résistants. Le 2 septembre 1944, au Gard d’Etreux et au hameau de la Junière, en représailles à une embuscade tendue par des résistants locaux, 36 civils sont massacrés par des SS tandis que 20 maisons sont détruites.

La Résistance face à la retraite allemande

Etant donné sa situation au carrefour des routes de Guise à Landrecies et de Bohain-en-Vermandois au Nouvion-en-Thiérache, la commune d’Etreux voit passer de nombreux détachements de l’armée allemande en repli en ce début du mois de septembre 1944. Ceux-ci tentent de fuir vers la Belgique en évitant les embûches tendues par les groupes de résistants. Les ordres que reçoivent les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) sont alors clairs : ils ne devront progressivement passer à l’action que lorsque les troupes alliées seront à moins de 60 km, diminuer la pression sur les troupes allemandes lorsque le front se rapprochera afin d’éviter les représailles, puis enfin se montrer les plus agressifs possible avant la jonction avec les troupes alliées. Les éléments les plus avancés de l’armée américaines ayant été signalés à Marle puis Guise, les résistants du secteur d’Etreux et Boué sont alors désireux de passer à l’action. L’occasion leur en est offerte le 1er septembre en fin d’après-midi, quand un groupe de résistants s’installe au café Hauet à Boué, non loin de l’usine Materne, et prend à partie quelques véhicules allemands, blessant trois soldats. Selon un autre témoignage, un groupe de résistants croise également deux camions allemands non loin du hameau de la Junière et ouvre le feu, capturant les deux véhicules tandis que les passagers fuient vers Etreux. Les accrochages semblent se poursuivre le 2 septembre vers 8h30, quand un convoi de l’armée allemande se dirigeant vers Boué fait l’objet de tirs de la part de résistants postés à proximité du pont du canal de la Sambre à l’Oise, mais des soldats réussissent à s’enfuir, laissant augurer le pire…

La répression aveugle au Gard d’Etreux

Alertés par des soldats ayant été attaqués selon certains témoignages, ou ayant constaté que des véhicules allemands avaient été attaqués près du canal selon d’autres, le fait est que le 2 septembre vers 9h, une importante formation de S.S. et d’autres soldats allemands en retraite arrivent à l’entrée du Gard d’Etreux avec l’intention de procéder à des représailles. Un premier groupe arrive par la ligne de chemin de fer en direction de Boué tandis qu’un second groupe continue tout droit vers le pont du canal. Un troisième groupe, enfin, emprunte le chemin de halage jusqu’à l’écluse n°2 et de là, progresse en direction du hameau de la Junière. A l’écluse n°1, au dépôt du canal, les Allemands mettent le feu aux tracteurs et aux cuves de gasoil avant de poursuivre leur chemin. Une fois arrivés devant les habitations, les soldats y sèment le chaos : les vitres des maisons sont cassées, des grenades incendiaires sont lancées tandis que les civils se cachent de leur mieux, inquiets. Alors enfant, Marcel Chrétien se souviendra : « C’est à ce moment-là, qu’un Allemand apercevant notre père, l’obligea à sortir de la maison, pour le fusiller lâchement sur le bord de la route, à côté de son camarade Jules Boquillon, deux anciens combattants 1914-1918 qui avaient fait la guerre ensemble. »

A coups de bottes ou de crosse de fusil, tous les hommes sont poussés dans la rue où ils sont frappés à l’arme blanche ou par arme à feu. Louis Bobœuf et Henri Frenois qui se trouvaient au café Hauet sont abattus alors qu’ils sortaient pour se rendre compte de ce qui se passait au Gard. Les frères René et Roger Bouleau prennent la fuite au moment où les S.S. abattent leur père Adonis. Roger est blessé au bras et au genou mais parvient à s’échapper. Gardiens de nuit à l’usine Materne de Boué, Liou Tchen Té et Lin Tsou sont arrêtés alors qu’ils rentraient chez eux, au hameau du Gard, abattus et abandonnés au bord du chemin. René Mercier, instituteur au Gard, qui s’était caché dans sa cave, se rend compte que le feu gagne sa classe, et réussit à éteindre l’incendie, mais deux soldats allemands l’ayant aperçu, il est conduit au bord de la route et reçoit une balle dans la tête. Une extrême brutalité s’exprime alors, comme celle dont fait l’objet Gilbert Loiseau, qui reçoit plus de vingt coups de baïonnettes dans le corps devant sa mère, ou encore Gilbert Chazal, qui est abattu avec un de ses enfants dans ses bras et achevé à coups de bottes tandis que sa femme Simone est battue et blessée en tentant de lui porter secours.

Détail du monument du Gard d'Etreux
©Département de l'Aisne

Dès les premières détonations, tous les civils qui l’ont pu se sont réfugiés dans leurs caves ou dans les tranchées creusées depuis quelques mois dans les jardins, en prévision des bombardements. Là, les femmes et les enfants attendent dans l’inquiétude, sursautant à chaque explosion de grenades tandis que les rafales de pistolets-mitrailleurs sifflent dans l’air. Marcel Chrétien témoigne alors : « Les soldats allemands pensaient bien que la tranchée était occupée, se mirent à crier comme des sauvages à l’entrée pour nous faire remonter, nous sommes sortis et face à nous se trouvaient une troupe de soldats allemands, tenant dans les mains grenades et fusils. Nous n'avions plus beaucoup d’espoir quand le chef donna l’ordre à un soldat de nous emmener. Nous sommes partis tous les trois comme des prisonniers ayant derrière nous le soldat tenant dans les mains son fusil. Nous nous sommes regardés en traversant le jardin en pensant que tout allait mal pour nous. En arrivant au portail qui borde la route, le soldat eut un moment d’hésitation… Le soldat avança encore environ une dizaine de mètres afin de pouvoir regarder ce qui se passait sur la route, il nous fit comprendre qu’il ne fallait pas aller plus loin, mais de retourner à l’endroit où nous fûmes capturés. Nous sommes donc repartis en reprenant la direction de notre abri. Pendant ce temps, les Allemands qui occupaient notre jardin avaient tous disparu. »

 


La Junière à feu et à sang

Plus loin, au hameau de la Junière, le groupe de soldats allemands ayant emprunté le chemin de l’écluse n°2 a traversé les pâtures et atteint les premières fermes. Serge Addiasse, qui était alors un jeune homme, se souvient : « Les nazis nous qualifièrent de "Vous terroristes, vous tous kapouts". Dans un premier temps, après forte distribution de coups de crosse dans le dos et de coups de bottes, nous fûmes alignés dans la cour de la ferme de Monsieur Lucien Pereau, pour être fusillés devant les femmes et les plus jeunes enfants. Mon père, ancien prisonnier civil de 1914-1918 et Colbert Quentin, instituteur à La Neuville-lès-Dorengt, qui parlaient assez bien la langue allemande, essayèrent de parlementer avec le commandant, mais celui-ci répétait toujours "Vous terroristes, Vous kapouts", d’autant plus que les soldats allemands avaient vu les deux camions qui avaient été pris la veille, et qui étaient camouflés dans une grange. ». S’en prenant à tous les civils qui passent au hameau de la Junière, les soldats allemands interpellent André Moro accompagné de ses deux fils Joseph (20 ans) et Jean (16 ans) puis les laissent repartir avant de les mitrailler dans le dos. Vers 10h, de nombreux coups de feu et des rafales sont entendus du côté du carrefour des Quatre Chemins, non loin du hameau de la Junière. Alertés par les incendies, six résistants sont en effet venus en reconnaissance et ont engagé le combat avec les soldats allemands qui se hâtent de pousser sur la route les civils pris en otages à la Junière afin d’en faire des boucliers humains. Cela convainc les résistants de rebrousser chemin, mais ne dissuade pas les soldats allemands de poursuivre leur action : conduits dans la cour de la ferme d’André Boulanger, les otages de la Junière sont alignés contre un mur.

La stèle du hameau de la Junière ©Département de l'Aisne

Serge Addiasse racontera alors : « J’ai entendu mon père crier "Vive la France" et aussitôt "Sauve qui peut". Mon voisin de droite fut le premier touché, je voyais ces fusils droits sur moi, je fis un écart pour me jeter à terre et je fus blessé une première fois dans le dos. J’ai eu la chance que mon voisin de gauche me tombe dessus, ce qui me protégea en partie car les S.S. continuèrent à nous tirer dessus par terre et je fus de nouveau touché aux deux jambes. Mon père qui était le dernier sur la gauche en criant "Sauve qui peut" s’était précipité dans une écurie en flamme et pleine de fumée. Il fut imité par André Boulanger, Joseph Macon et mon frère Roger, mais pour Colbert Quentin, Emile Moineuse, Alfred Moineuse et Lucien Pereau c’était trop tard. La petite chance avait joué pour quelques-uns, chance d’ailleurs bien mince puisqu’il leur fallait lutter contre l’asphyxie. Les Allemands ne les poursuivirent pas, ils leurs lancèrent seulement une grenade et continuèrent leur carnage plus loin. Le calme étant revenu, les quatre rescapés sortirent à plat ventre de l’écurie car une fumée très épaisse recouvrait les lieux, et constatant que j’étais blessé mes compagnons me firent un garrot et me ramenèrent à la maison où je fus soigné, lavé et pansé par une voisine que je tiens à remercier de son courage et de son dévouement. »

Des hameaux endeuillés

Vers 11h, les femmes, enfants et vieillards du Gard d’Etreux sont rassemblés dans un champ proche de la route, sous la menace d'une mitrailleuse. C'est alors qu’un groupe de soldats allemands en repli informe les S.S. que les Américains viennent d’entrer dans Etreux, ce qui décide l’ensemble des soldats allemands à quitter les lieux. Nulle troupe américaine ne paraît cependant pour constater le massacre malheureusement, les ordres étant de rejoindre au plus vite Landrecies par l’actuelle route départementale 946. Vers midi, le calme est revenu, et tandis que dans les maisons incendiées se consument les tables, les chaises, les lits et les meubles percés par les explosions de grenades, les premiers habitants d’Etreux se rendent compte de ce qu’il s’est passé au Gard et au hameau de la Junière. Alfred Lévêque, habitant d’Etreux membre de la Croix-Rouge, vient en particulier au secours des victimes et réconforte leurs familles, rassemblant les morts afin de les transporter dans la salle de tissage du Gard d’Etreux transformée en morgue. Rapidement la liste des victimes est dressée, et 36 fusillés sont recensés :

  • Jules BOQUILLON, d’Etreux, 68 ans
  • Louis BOULEAU, du Gard, 49 ans
  • Marcel BOULEAU, du Gard, 48 ans
  • Adonis BOULEAU, du Gard, 68 ans
  • Emile CAUDRON, du Gard, 80 ans
  • Louis CHRETIEN, du Gard, 67 ans
  • Gilbert CHAZAL, du Gard, 22 ans
  • Jules DENIS (père), du Gard, 55 ans
  • Jules DENIS (fils), du Gard, 22 ans
  • Henri DUPUIS, d’Etreux, 47 ans
  • Norbert DUPUIS, d’Etreux, 21 ans
  • Armand GRAVET, 46 ans
  • Aristide GRAVET, 47 ans
  • Paul HIET, 22 ans
  • Edmond LANGLOIS, d’Etreux, 47 ans
  • Camille LIN-TSOU, 55 ans
  • Té LIOU-TCHEN, du Gard, 49 ans
  • Adrien LEFRANC, du Gard, 63 ans
  • Edouard-Léon LEGRAND, du Gard, 65 ans
  • Gilbert LOISEAU, d’Etreux, 20 ans
  • Henri MACHU, du Gard, 54 ans
  • René MERCIER, d’Etreux, 52 ans
  • Emile SIMON, 31 ans
  • Edmond VALET, de Boué, 59 ans
  • Louis-Antoine BOBOEUF, de Boué, 39 ans
  • Henri-Fernand FRENOIS, de Boué, 50 ans
  • Bernard POITOU, de La Neuville-lès-Dorengt, 63 ans
  • Emile MOINEUSE, de La Neuville-lès-Dorengt, 64 ans
  • Alfred MOINEUSE, de La Neuville-lès-Dorengt, 58 ans
  • André MORO, de La Neuville-lès-Dorengt, 47 ans
  • Joseph MORO, de La Neuville-lès-Dorengt, 20 ans
  • Jean MORO, de La Neuville-lès-Dorengt, 16 ans
  • Colbert QUENTIN, de La Neuville-lès-Dorengt, 22 ans
  • Lucien-Léon PEREAU, de La Neuville-lès-Dorengt, 58 ans
  • Gustave VOISIN, de Boué, 33 ans
  • Camille BLEUX, de Boué, 28 ans
Les funérailles des victimes du 2 septembre 1944
Les funérailles des victimes du 2 septembre 1944

La mémoire des victimes du 2 septembre 1944

L'inauguration du monument dans l'Aisne Nouvelle
du samedi 10 mai 1947

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Etreux et La Neuville-lès-Dorengt ont la lourde charge de préserver la mémoire des victimes et de reconstruire les hameaux du Gard et de la Junière, tandis que la douleur étreint les survivants marqués à jamais par le massacre du 2 septembre 1944. L’enquête qui fut menée ne permit jamais de déterminer exactement à quelle unité allemande appartenaient les soldats qui commirent le massacre. Seul Henri Saillofet, inspecteur de laiterie demeurant à Boué, déclarera aux gendarmes avoir participé à l’attaque d’une formation allemande près de la briqueterie d’Esquéhéries dans la journée du 2 septembre 1944, et que les soldats allemands qui furent tués faisaient partie du 133e régiment d’infanterie, commandés par des officiers SS. C’est probablement cette même formation qui avait traversé Etreux et le Gard dans la matinée.

Afin d’honorer la mémoire des victimes du 2 septembre, un comité est rapidement constitué en vue d’ériger un monument commémoratif. Conçu par le sculpteur J. Marchal, de Le Quesnoy, et réalisé par P. Trouillet, de Landrecies, le monument aux victimes du 2 septembre 1944 massacrées par les Allemands en retraite est inauguré le jeudi 8 mai 1947 en présence d’une foule importante, tandis que les rues sont pavoisées de drapeaux tricolores. Chaque année, une cérémonie y a lieu pour perpétuer cet hommage, et le souvenir des victimes des massacres du Gard d’Etreux et de la Junière est également honoré au sein du Mémorial départemental des villages martyrs de l’Aisne à Tavaux-et-Pontséricourt. Une plaque a également été posée au hameau de la Junière en 2011, puis une stèle, pour se souvenir des victimes et rendre hommage à Serge Adiasse, dont la parole ne cessa de rappeler l’histoire du massacre jusqu’à son décès le 23 avril 2016.

 

Une borne pour la mémoire


Borne Aisne Terre de mémoire Etreux

Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière le monument des victimes du 2 septembre 1944, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 2 septembre 2024.