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Publié le 29 aoû 2024 - Mis à jour le
Les 7 et 8 juin 1940, le Soissonnais est en première ligne de la bataille de France. Pendant deux jours, les dernières divisions françaises y combattent avec l’énergie du désespoir pour tenter d’enrayer l’irrésistible offensive allemande.
Dans les semaines qui suivent, aux nombreuses armes qui parsèment le champ de bataille se mêlent les tombes des combattants morts. Alors que les premiers réfugiés regagnent leurs foyers, l’idée de résister à l’occupation commence à prendre corps.
L’un des premiers groupes de résistants de Soissons est sans doute celui créé en septembre 1940 par Daniel Douay (1891-1942), transporteur à Soissons, qui sera reconnu comme faisant partie du réseau « La Vérité Française » à partir de juillet 1941. Ce réseau, qui était au départ un journal fondé en septembre 1940 par Julien Lafaye et Jehan de Launoy à Versailles, avait en effet amalgamé d’autres petits réseaux assez rapidement, permettant la diffusion du journal clandestin, dont celui de Daniel Douay. Dès la création du groupe de Soissons, Daniel Douay s’entoure d’hommes sûrs, comme le capitaine de gendarmerie Henri-Clotaire Descamps (1906-1942). Celui-ci, après avoir combattu en mai-juin 1940 au sein de l’armée française, avait été affecté au poste de commandant de la section de gendarmerie de Soissons et avait convaincu d’autres gendarmes de suivre la même voie, à l’image du maréchal des logis chef Gaston Baudry, commandant la brigade de gendarmerie de Braine, qui récupère de nombreuses armes de toutes natures (fusils, fusils-mitrailleurs, mitrailleuses et mortiers) sur l’ancien champ de bataille des combats de juin 1940 afin de constituer des dépôts clandestins en vue de la Libération. Le plus important de ces dépôts sera constitué avenue de Reims à Soissons, dans l’usine Zickel-Dehaïtre où l’un des membres du réseau, Eugène Delhaye (1893-1945), est ingénieur et chef de fonderie, mais aussi au cimetière de la ville et dans les carrières environnantes.
En outre, grâce à la complicité de l’imprimeur Henri Marche de Braine, le réseau « Vérité française » fabrique de fausses fiches de démobilisation remises aux prisonniers français démunis de pièces d’identité et évadés. Car « Vérité Française » ce sont aussi des civils, comme Emile Louys (1885-1942), fonctionnaire des contributions indirectes, Jean Vogel (1891-1942), commerçant fourreur, l’abbé Prevost, curé de Villeneuve-Saint-Germain, Louis et Jean-Paul Debruyère, minotiers, Louis Leseigneur (1891-1945), luthier et photographe, Ludovic Pluche, garagiste, Suzanne Pierre, bouchère, Gilbert Jordana (1900-1943) et Maurice Moreaux, représentants de commerce, Achille Vanuxem, adjudant de gendarmerie, André Meurghe, agent d’assurances, Aimé Dufour, secrétaire général de la mairie de Soissons ou encore Jules Coquel, cultivateur à la ferme de Tinselves à Vauxaillon, mais aussi Laines et Guarrigues, cultivateurs eux-aussi.
Malheureusement, en août 1941, le réseau « Vérité française », qui est en lien avec le réseau du Musée de l’Homme, est infiltré par un agent belge de la Geheime Feldpolizei, Jacques Desoubrie (1922-1949). Le 25 novembre 1941 principalement, puis dans les mois qui suivront, tous les membres du réseau seront arrêtés par la Feldgendarmerie pour « aide à l’ennemi et espionnage », dont Henri-Clotaire Descamps, qui est blessé par balles alors qu’il tentait de s’échapper. Son épouse Marguerite Descamps est elle aussi arrêtée, de même que l’épouse de Daniel Douay, Emma Douay (qui sera libérée en mai 1942). Germaine Vogel (1894-1977), l’épouse de Jean Vogel, sera quant à elle condamnée à deux ans de prison puis graciée, elle sera libérée quelques jours avant l’exécution de son mari.
Condamnés à mort le 30 mai 1942 par le tribunal militaire du Gross Paris, Daniel Douay, Emile Louys et Jean Vogel sont fusillés au stand de tir de Balard à Paris le 27 octobre 1942 aux côtés de trois autres membres parisiens du réseau. Aimé Dufour, Ludovic Pluche, Eugène Delhaye, Gilbert Jordana, Louis Leseigneur et André Meurghe décéderont en déportation. Quant à Henri-Clotaire Descamps, premier gendarme condamné sous l’occupation, il voit sa peine commuée en 20 ans d’emprisonnement en forteresse en Allemagne suite à l’intervention de Pierre-Charles Serignan, chef d’escadron responsable de la Section gendarmerie française dans les territoires occupés, et de l’avocat alsacien Joseph Haening auprès du général Carl-Heinrich von Stülpnagel, commandant en chef des troupes d’occupation en France. Déporté en Allemagne à la prison de Karlsruhe puis dans les bagnes de Rheinbach et de Sonnenburg, Henri-Clotaire Descamps sera finalement guillotiné le 5 décembre 1942 à la prison de Brandenburg-Görden, en même temps que Maurice Moreaux.
Outre le réseau « Vérité française », d’autres groupes de résistance se développent également dans le Soissonnais, multipliant les actes de résistance. Cela passe par la pose d’affiches de propagande anti-allemande, des sabotages discrets (crève-pneus, sucre dans l’essence) ou des actions plus risquées, en groupe, ou isolées. Ainsi, Jeanne Jauquet, assistante sociale au dispensaire de Soissons, infirmière, qui assurait avec son automobile le service du courrier entre la sous-préfecture de Soissons et la préfecture de Laon, fait modifier la malle-arrière de sa voiture pour permettre à des prisonniers de s'y cacher le temps de franchir la ligne interdite de l'Ailette. Aidée de l'abbé Cordier, vicaire à Laon, elle put ainsi organiser l'évasion de nombreux prisonniers de la citadelle de Laon et leur faire passer l’Ailette du 22 novembre 1940 au 13 janvier 1941.
Dans le secteur de Vic-sur-Aisne, Gabriel Cochet (1904-1998) et André Bataillard (1916-1945), constituent dès 1940 un petit groupe de résistants également, qui intègre l’Armée des Volontaires (A.V.) puis constitueront le secteur 138 de l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.). Ensemble ils recrutent des volontaires et participent aux sauvetages d’aviateurs, aux parachutages puis aux sabotages. Arrêtés le 29 juin 1944, Gabriel Cochet sera déporté à Neuengamme tandis qu’André Bataillard succombera aux marches de la mort à Neue Stassfurt, le 14 avril 1945, à l’âge de 29 ans.
Enfin, pour les membres du Parti communiste français, c’est surtout après l’invasion de l’Union Soviétique que tombent les ordres de passer à l'action, quel qu’en soit le prix. Un mois après le premier attentat sur un militaire allemand à Paris par le résistant communiste Pierre Georges (1919-1944) , un attentat à lieu à Courmelles contre un factionnaire allemand de garde devant la porte de la Standartkommandantur, le 29 septembre 1941. Quand la Feldgendarmerie perquisitionne chez Gaston Pinot (1911-1941), cantonnier auxiliaire, elle y trouve plusieurs armes de guerre et un carnet contenant les noms des militants communistes locaux. Arrêté avec dix-sept autres supposés communistes, il sera condamné à mort le 7 octobre 1941 par le tribunal militaire allemand (FK 602) de Saint-Quentin (Aisne) pour « menées communistes et détention d’armes » et fusillé au stand de tir des Blancs-Monts à Laon deux jours plus tard.
Malgré les vagues d’arrestations qui touchent les premiers réseaux de résistance en 1941, la volonté de résister à l’occupant reste intacte pour beaucoup de Soissonnais, comme l’atteste le drapeau allemand flottant sur le Soldatenheim installé Hôtel de la Croix d’Or, que les habitants de la ville retrouvent en lambeaux à l’aube du 23 juillet 1941, lacéré durant la nuit par un résistant anonyme. Les actions individuelles se multiplient en effet, comme celles qu’entreprend Paul Garbe, directeur d’école à Bucy-le-Long, qui conduit ses élèves jusqu’au monument aux morts de la commune pour un moment de recueillement dès le 11 novembre 1940, faisant copier des tracts à ses élèves avec qui il sabote aussi, à l’occasion, les motocyclettes des soldats allemands. Son collègue René Becard, instituteur à Presles-et-Boves, constitue et inventorie de son côté des stocks d’armes dans les carrières de sa commune. Secrétaire de mairie, il établit de fausses cartes d’identité et des titres de ravitaillement jusqu’à son arrestation le 19 novembre 1943. Déporté le 26 janvier 1944 à Buchenwald il sera libéré à Bergen-Belsen le 15 mars 1945 et pourra regagner l’Aisne. Sa collègue Armande Richier, institutrice à Billy-sur-Aisne puis à Dommiers, refuse quant à elle de signer le serment de fidélité au maréchal Pétain, fabrique des tracts et héberge des résistants F.T.P.F. dans sa maison jusqu’à son arrestation le 16 octobre 1942 à Soissons, suite à l’arrestation d’André Beck, son chef de groupe, qui entraîne le démantèlement de tout le secteur F.T.P.F. de Soissons. Emprisonnée et torturée à Saint-Quentin, Armande Richier sera déportée avec sa sœur Odette en janvier 1943 et décédera à Auschwitz-Birkenau quelques mois plus tard.
Il semble que le corps enseignant soit très engagé dans la résistance, puisque Paul Obrier, professeur d’anglais au collège de Soissons, rejoint en 1941 le réseau de renseignement de la France libre « Vélite Thermopyles », et conseille lui-même à partir de 1942 à l’un de ses élèves, Jean Coret, de former un groupe de jeunes résistants. C’est ainsi que naît le groupe « Bir Hakeim » au sein duquel on retrouvera Bernard Douay, fils de Daniel Douay fusillé en octobre 1942, Patrice Dehollain, Pierre Coutier, Pierre Thomas, Paul Plantier, qui se chargeront au sein du réseau « Vélite Thermopyles », puis au sein de Libé-Nord, de distribuer des tracts, récupérer des armes ou encore effectuer les liaisons auprès des chefs de la résistance. Ils seront rejoints à partir de 1944 par des dizaines d’autres jeunes Soissonnais. A partir du débarquement allié en juin 1944, ils contribueront activement à renseigner les Alliés sur l’identification des convois terrestres et ferroviaires allemands ou encore l’implantation des états-majors et des bases aériennes.
En octobre 1943, la résistance continue de s’organiser et recrute de nouveaux membres, notamment dans le milieu des officiers et sous-officiers de réserve du 67e RI, et des contacts sont pris entre Libé-Nord et le réseau « Vélite-Thermopyles » à Paris afin d’assurer le rapatriement d’aviateurs alliés tombés dans le Soissonnais. La répression, elle, continue... Le 11 novembre 1943, Germaine Vogel, qui a rouvert le commerce de fourrure qu’elle tenait avec son mari fusillé le 27 octobre 1942 avec d’autres membres du réseau « Vérité française », expose dans la vitrine de son magasin les photographies de son mari et de ses camarades fusillés, entourés de fleurs tricolores portant la mention « Mort pour la France ». A nouveau arrêtée, elle est emprisonnée plusieurs mois avant d’être déportée au camp de concentration de Ravensbrück le 4 février 1944. Rapatriée le 7 mai 1945, elle gardera des séquelles jusqu’à la fin de sa vie.
Mais si les résistants sont les victimes de la répression allemande, les victimes de l’idéologie nazie sont aussi les juifs, Français ou d’origine étrangère. Après la promulgation du statut des juifs en octobre 1940 et l’obligation de se faire recenser, travailler dans différents secteurs d’activité ; sortir de chez eux leur fut interdit, en février 1942. Nommé le 5 mai 1942 chef supérieur de la SS et de la Police en France occupée, Carl Oberg (1897-1965) rend le port de l’étoile jaune obligatoire à partir du 7 juin 1942 et conclut rapidement un accord avec le secrétaire général à la police de Vichy René Bousquet pour l’organisation d’une rafle les 16-17 juillet 1942 dans toute la France, sous la responsabilité exclusive des Français qui ont recours à la police et à la gendarmerie.
A Soissons, la 1ère rafle est prévue pour les 19 et 20 juillet 1942. Policier à Soissons, Charles Letoffe (1896-1979) décide ainsi de prévenir Charles Knoll, d’origine polonaise, qui pourra s’enfuir avec sa famille en banlieue parisienne, tandis qu’il héberge chez lui Pinches et Handlet Glas. Le même jour, la directrice du collège de filles, Madame Mouton, fait disparaître une de ses élèves avec la complicité des professeurs et des surveillantes. Au total 7 hommes et 7 femmes seront arrêtés et déportés. Insatisfaits du nombre de juifs arrêtés lors de la rafle de juillet 1942, les autorités d’occupation allemande organisèrent une seconde rafle les 9 et 10 octobre 1942, sans succès, puis une 3e rafle au sein de la communauté juive le 4 janvier 1944, au cours de laquelle 7 personnes dont trois enfants de moins de 13 ans seront arrêtés et déportés. Ces rafles resteront durablement dans les esprits des Soissonnais, si bien qu’en 1953, un monument en mémoire des victimes des atrocités nazies, sculpté par André Bizette-Lindet, sera réalisé au sein de l’église Saint-Pierre-au-Parvis, complété en 1995 pour le cinquantième anniversaire de la Libération des camps par une urne contenant des cendres de déportés posée sur un trépied en marbre noir.
Face à la persécution de la communauté juive, des hommes et des femmes se mobilisent, comme Suzanne Richier (1914-1989), institutrice à Pernant, Fontenoy puis Buzancy entre 1933 et 1944, résistante de Libé-Nord, qui organise avec d’autres enseignants, le placement d’enfants juifs dans des familles du Loiret, de Normandie et de la Marne. C’est aussi le cas d’Eugène Bouchard, instituteur à Crécy-au-Mont, et de son épouse Marguerite qui, après la rafle du 4 janvier 1944, recueillent chez eux Marie-Claude Cahen (dont les parents Paul et Fernande ont été arrêtés) et la garderont pendant deux semaines avant qu’elle ne puisse rejoindre une autre famille en Savoie. On retrouve également Jeanne Jauquet, qui avait fait passer l’Ailette à des prisonniers en 1940, qui procure de faux papiers au médecin juif Gabriel Fried et contribue à son sauvetage lors de la rafle du 9 octobre 1942. Il y eu aussi Jacques Bouloire, Giovanna Biaison, Robert et Annunciata Laplace.
C’est au mois de mars 1944 que les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont ainsi constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry).
Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanants du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront ainsi combiner l’action des groupes de résistance. Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise ainsi à renforcer l'efficacité de la résistance en vue de la Libération. Ainsi en février 1944, des contacts sont pris entre le Groupement D et le B.O.A. pour recevoir des armes et du matériel, et les résistants du groupement participent à certains parachutages.
L’homme choisi pour prendre la tête du Groupement D est Marcel Bignebat (1896-1959). Instituteur, directeur de l’école de Venizel, ce résistant du mouvement Libé-Nord avait rejoint un groupe de résistants avec à leur tête l’instituteur René Grangy, auquel il succéda après l’arrestation de ce dernier. A l’issue du conflit il recevra une citation qui en dit long sur son parcours : « Entré dans la résistance en 1943. A participé à de nombreux sabotages, puis a regroupé les FFI de sa zone après l’arrestation des chefs de secteurs. Arrêté, condamné à mort, s’est évadé et a repris le commandement de sa zone. A pris part aux combats de la libération du Soissonnais. » Le 18 juin 1944 à Mercin-et-Vaux, la réunion avec les chefs de la résistance et les différents secteurs du Groupement D sont définis, permettant ainsi de le structurer davantage en vue de la Libération.
Après des années d’attentes pour certains, des mois passés à recruter les volontaires, accueillir les réfractaires au STO, diffuser des journaux clandestins, récupérer armes et matériel depuis 1943, les résistants de l’Aisne allaient enfin pouvoir passer à l’action dans le cadre des plans établis par les Alliés.
Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans de mobilisation furent élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Ces différents plans avaient eux-mêmes, au préalable, été approuvés par le général de Gaulle dans son « Instruction concernant l’emploi de la résistance sur le plan militaire au cours des opérations de Libération de la métropole » datée du 16 mai 1944. Le chef du Comité français de Libération Nationale est cependant conscient des capacités réelles de la Résistance, et souhaite qu’une action progressive et dosée soit lancée le moment venu, afin d’éviter une insurrection générale qui serait sévèrement et rapidement réprimée par les troupes d’occupation allemande. Cet espoir disparaît toutefois le 2 juin 1944 lorsque le Supreme Headquarters of Allied Expeditionary Force (S.H.A.E.F.), le commandement suprême des troupes alliées en Europe, décide qu’en parallèle du débarquement, tous les plans prévus doivent être déclenchés de manière à semer une confusion généralisée dans les états-majors allemands, quel que soit le prix à payer par la Résistance.
Le 5 juin 1944, dès que la décision de lancer le débarquement le lendemain aux premières heures du jour est prise, 210 messages codés sont transmis à la résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France. Deux autres plans sont aussi mis à exécution: le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques et le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension.
Le message le plus important est celui concernant le plan Rouge, qui signifie que l’insurrection armée de la Résistance doit être déclenchée. Sur le principe de la guérilla, six zones difficilement accessibles doivent devenir des points de fixation à l’arrière du front allemand : le Morvan, le Massif Central, les Pyrénées, les Alpes, le Jura et les Vosges. Toutefois dès le 10 juin, l’état-major du général Koenig transmettra aux groupements de résistance l’ordre de freiner au maximum les actions de guérilla, ceux-ci n’étant effectivement pas en capacité de combattre pendant des mois en attendant l’arrivée des troupes alliées, et le commandement allié n’ayant pas les moyens ni la volonté de ravitailler en armes et en munitions une résistance dont la valeur combattante est encore, à leurs yeux, sujette à caution.
Dans l’Aisne, dès l’annonce des messages de la B.B.C., les équipes de sabotages se mettent immédiatement à pied d’œuvre, neutralisant de nombreuses lignes téléphoniques et voies de chemin de fer selon les plans Vert et Violet. Le 25 juillet 1944, les rails de la voie ferrée Paris-Soissons sont ainsi déboulonnés à Noyant, occasionnant 2 jours d'arrêt du trafic. Le 11 août, la voie ferrée de Villers-Cotterêts à Soissons sera à nouveau coupée et plusieurs wagons renversés, occasionnant 6 jours d’interruption du trafic ferroviaire. En application du plan Tortue, de nombreux crève-pneus sont aussi répandus en de nombreux points des principales routes du département. Le 28 juillet 1944, ce ne sont pas moins de 50 kg de clous spéciaux qui sont semés sur les routes de Villemontoire, de Fère-en-Tardenois et de Braine, puis à nouveau 75 kg le 9 août. Les panneaux indicateurs sont déplacés afin d’accroître la confusion des troupes allemandes, quand ce ne sont pas les bornes kilométriques qui sont barbouillées de goudron.
Tous les moyens sont bons pour ralentir l’acheminement des troupes allemandes vers la Normandie, mais tandis que beaucoup de résistants tentent de prendre le maquis, la répression allemande se durcit. C’est ainsi que Raymonde Fiolet (1914-1946), alias « Roberte », responsable de Libé-Nord pour l’arrondissement de Soissons et membre du Comité départemental clandestin de la Libération, est arrêtée dans la nuit du 14 au 15 juin 1944 par la Feldgendarmerie alors qu’elle se trouvait au maquis. Transférée à la prison de Saint-Quentin et torturée par la police allemande, elle est transportée à l’hôpital de Saint-Quentin. Nommée présidente de la délégation municipale de Soissons par le Comité local de la Libération le 20 août 1944, elle bénéfice de complicités qui lui permettent de s’évader le 22 août 1944.
Dans les jours qui précèdent l’arrivée des troupes américaines sur le territoire axonais, aux sabotages de voies ferrées viennent s’ajouter le démontage de panneaux indicateurs routiers, la pose de crampons crève-pneus. Toutefois il manque des armes et des munitions en vue des combats de la Libération. Le 23 août, Mme Delhaye et Mme Douay conduisent les résistants de Soissons jusqu’au stock d’armes et de munitions cachées par le groupe « Vérité française » en 1941 à l’usine Zickel-Dehaître. Près de 500 kg d’armes et munitions sont ainsi récupérés, dont un mortier de 60, plusieurs fusils, un stock de grenades V.B., une mitrailleuse et des munitions, placés dans un tombereau et déplacés de nuit jusqu’à Pasly. Celles-ci sont distribuées aux résistants deux jours plus tard tandis qu’un dispositif de mise en sécurité des édifices publics (mairie, poste), de santé (clinique, pharmacie) mais aussi de distribution des vivres de réserve est mis sur pied en accord avec le sous-préfet Vaugon.
Le 27 août à 18h, contact est pris entre les résistants et les avant-gardes alliées sur les routes de Villers-Cotterêts et de Château-Thierry tandis que l’hôtel de ville de Soissons et la rive gauche de l’Aisne sont occupés par les résistants. Le 28 août, alors qu’une partie des effectifs du Groupement D sont envoyés participer à l’attaque d’un train blindé à Braine (ils feront 54 prisonniers), tous les édifices publics de Soissons sont occupés par les F.F.I de Lucien Berger et du capitaine Lepape, alias « Pie XII » et la ville nettoyée, les volontaires affluant pour être incorporés. En fin d’après-midi, les premières détonations de balles et d’obus se font entendre : les chars de la 3e division blindée américaine arrivent. A 18h55 ils entrent dans la ville, éclairés par les F.F.I. de Soissons qui leur ouvrent la route jusqu’à la place de la République d’un côté, et la place Saint-Christophe de l’autre. Les combats menés par la Résistance ne sont malheureusement pas sans pertes. Ainsi, encore aujourd’hui, rue Méchain, on peut voir une plaque commémorative rappelant que Roger Le Breton, Louis Bretez, Jules Bantegnies, Louis Schmitt, René Banvoy furent tués les 28 et 29 août 1944, au cours des combats le long de l’Aisne pour le franchissement de la passerelle vers le quartier Saint-Waast, les Allemands voulant repasser la rivière pour réoccuper la ville après le passage des blindés américains vers Laon.
La ville libérée, Raymonde Fiolet prend officiellement ses fonctions, équivalentes à celles de maire de la ville, le 1er septembre 1944, restant à ce poste jusqu’aux élections municipales du printemps 1945. De leur côté, tous les F.F.I. resteront mobilisés, installant leur poste de commandement à l’hôtel de la Croix d’Or sous le commandement du capitaine Lepape, alias « Pie XII ». C’est là qu’un soldat allemand vêtu d’un uniforme américain viendra chercher de l’aide le 31 août dans l’après-midi, pour débusquer un groupe de soldats allemands. Ces derniers ont en réalité tendu une embuscade dans laquelle tombent une quarantaine de volontaires au niveau du bois des Châssis à Ressons-le-Long. Le lendemain, les secouristes Assistants du Devoir National (A.D.N.) de Yvonne Basquin tomberont à leur tour dans ce traquenard. Passé le drame du 31 août, les F.F.I. assureront la garde des carrefours routiers et des ponts ainsi que la garde des installations militaires et dépôts d’essence. Ils seront également employés pour le maintien de l’ordre et participeront à l’épuration, notamment des municipalités, mais aussi à l’assistance aux familles des F.F.I. tués au cours des combats via le Comité Social des Œuvres de la Résistance (C.O.S.O.R), que dirigera Yvonne Basquin.
Le 22 septembre 1944, les F.F.I. seront officiellement démobilisés et plusieurs dizaines d’entre eux contractèrent un engagement pour la durée de la guerre au sein de l’armée française. Rassemblés au quartier Gouraud, ils formèrent avec des recrues venant également de l’Oise le 67e régiment d’infanterie des F.F.I. qui aura pour mission de garder des sites sensibles, des gares et des voies ferrées jusqu’à la fin de l’année 1944. En février ils seront envoyés dans les Forces françaises de l’Ouest afin de réduire les poches de Saint-Nazaire à Dunkerque.
La guerre terminée, les résistants d’hier reprirent le cours de leur vie, sans jamais pouvoir oublier cette période marquante. Réalisée par le sculpteur Hubert Dufour à partir des mains d’un résistant, Patrice Dehollain (1927-2016), cette stèle intitulée « Ils ont brisé nos chaînes », inaugurée le 18 juin 2012, rend hommage aux résistants du Soissonnais qui, durant quatre ans, luttèrent avec courage et détermination contre l’oppression jusqu’à la Libération.
Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière cette stèle, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 27 mai 2024 à l’occasion de la Journée nationale de la résistance.
Envie de vous balader dans la ville à la découverte des lieux marquants de l’histoire de la Résistance et de l’occupation ? Pour cela, les élèves de CM2 des écoles Jean Moulin, Saint-Crépin, Michelet, Tour de Ville, La Gare, Saint-Vaast de la Circonscription de Soissons et de l’ULIS du collège Lamartine, en partenariat avec l’ONACVG et la ville de Soissons, ont mis en place un parcours via l’application Baludik que nous vous recommandons.
https://baludik.fr/parcours/3406-soissons-de-loccupation-a-la-liberation/
Publié le 02 sep 2024 - Mis à jour le
Le 27 mai 1942, alors que l’Europe continentale vit sous la botte allemande depuis près de deux ans, trois agents des services secrets de la France Libre et du matériel sont parachutés à proximité du hameau de Régnicourt, sur la route entre Andigny-les-Fermes et Bohain-en-Vermandois.
En 1942, la Résistance française s’organise tant bien que mal depuis bientôt deux ans, et la France Libre du général de Gaulle multiplie les tentatives pour créer des liens avec les réseaux de résistance existants et tenter de coordonner leur action depuis Londres. Les services secrets de la France Libre, qui portent alors le nom de « Bureau Central de Renseignement et d’Action Militaire » (BCRAM), sont dirigés par le colonel André Dewavrin, dit « Passy ». Désireux de renforcer les liaisons entre la France libre et la résistance communiste, il décide d’envoyer une mission en France avec à sa tête le capitaine René-Georges Weil.
Âgé de 34 ans, avocat dans le civil, René-George Weil a rejoint l’Angleterre en août 1940 et a rapidement contribué à mettre sur pied la 1ère compagnie d’infanterie de l’air de la France libre. Volontaire pour partir en mission malgré des blessures encore récentes lors d’un entraînement et les réticences de son supérieur, c’est sous le pseudonyme de « Mec » qu’il se prépare à partir, accompagné de son opérateur radio André Montaut, alias « Mec-W ». Ce dernier s’est engagé dès juin 1940.
Outre l’envoi d’une mission de liaison auprès de la Résistance communiste, ce parachutage prévoit également l’envoi de plusieurs appareils radio émetteurs/récepteurs destinés au réseau Confrérie-Notre-Dame dirigé par Gilbert Renault, plus connu désormais sous le pseudonyme de « Colonel Rémy ».
Parachuté dès l’été 1940 par les services secrets de la France libre, celui-ci a constitué un vaste réseau de renseignements en France occupée et a besoin de postes radio et d’opérateurs pour transmettre avec Londres, c’est pourquoi un troisième agent, Jacques Courtaud, fait également partie de la mission. Âgé de 37 ans et ancien opérateur radio de la compagnie Air France en Amérique du Sud, ce dernier s’est engagé en janvier 1942.
Le terrain choisi pour l’organisation de ce parachutage est une pâture à la lisière d’un bois, au lieu-dit « Les Hayettes », à quelques centaines de mètres à l’ouest du hameau de Régnicourt, sur la commune de Vaux-Andigny. Le choix de ce terrain, baptisé « Roland-Garros », ne doit rien au hasard cependant, puisqu’il a été repéré par Robert Delattre, alias « Bob », chargé des parachutages du réseau Confrérie-Notre-Dame, qui a des parents non-loin de là.
La mission « Mec-Goldfish » du BCRAM autorisée par les Britanniques, ces derniers attribuent un appareil Armstrong Whitworth Whitley du Squadron No. 161 de la Royal Air Force, escadrille spécialisée dans les parachutages d’hommes et de matériel en territoire occupé, afin qu’elle puisse être parachutée. Afin d’annoncer la date et la venue de la mission, le BCRAM et son réseau Confrérie-Notre-Dame se sont accordés sur un message qui doit être transmis par la BBC depuis Londres : « Roland Garros remercie bien Evelyne ». Aussi quand ce message résonne sur les ondes, Robert Delattre sait qu’il lui faudra préparer le terrain pour réceptionner le parachutage.
Dans la soirée du 27 mai 1942, vers 22h, le bimoteur Armstrong Whitworth Whitley n°Z6653 piloté par le Flight Sergeant (F/Sgt) Peterson décolle de la piste de la base aérienne de Tangmere, dans le sud-est de l’Angleterre. A son bord, l’équipage du bombardier se compose du F/Sgt Land (copilote), du Sgt Cruwys (navigateur), du Sgt Lyver (opérateur radio), du Sgt Clayton (mitrailleur arrière) et du Sgt Wainwright (dispatcheur), ce dernier étant spécifiquement chargé de superviser le largage du matériel puis le saut de René-Georges Weil, André Montaut et Jacques Courtaud à l’approche de la zone de parachutage.
Au hameau de Régnicourt, Robert Delattre et son équipe ont finalement décidé de baliser la zone de parachutage 1000 m plus au sud, la proximité avec la route de Bohain-en-Vermandois à Wassigny faisant craindre le passage de véhicules allemands. Quand les moteurs du bombardier Whitley se font entendre, alors que seule la pleine lune éclaire désormais le terrain, les résistants déclenchent leurs signaux lumineux indiquant la zone de parachutage et le sens du vent, et quelques instants plus tard, les parachutes s’ouvrent dans la nuit, les agents de la France libre et les containers de matériel tombant lentement vers le sol.
Tandis que le bimoteur s’éloigne de la zone de parachutage et regagne sa base à 3h48, les résistants accueillent les trois agents parachutés et se hâtent de cacher les deux paquets et le container envoyés contenant une douzaine d’émetteurs/récepteurs dans les haies bordant le terrain, avant de se disperser pour rejoindre la gare de Busigny où ils doivent prendre le train pour Paris.
Arrivé en Gare du Nord, Robert Delattre est interpellé par un agent du contrôle économique à cause d’une valise neuve contenant des cigarettes et des pyjamas neufs que Pierre Brossolette avait demandé qu’on lui envoie. Il réussit à s’échapper mais la police trouve néanmoins dans ses papiers son carnet de rendez-vous avec le lieu et l’heure du rendez-vous de secours.
Le lendemain, à 19h, porte d’Auteuil, Robert Delattre et René-Georges Weil sont donc attendus et arrêtés. Delattre tente bien de s’échapper mais est blessé au bras tandis que Weil, qui détient de nombreuses informations, préfère mettre fin à ses jours en ingérant sa capsule de cyanure. Quant à l’opérateur-radio André Montaut, il semblerait que, sans contacts à Paris après l’arrestation de son chef, il préféra se réfugier dans sa famille à Pau. Le 4 mars 1943, à Lyon, il rencontre Daniel Cordier qu’il avait côtoyé en 1940 en Angleterre et sert un temps à ses côtés, avant d’être à son tour arrêté le 21 juillet 1943 à Lyon. Déporté, il décède le 2 juin 1944 au camp de concentration de Mauthausen (Allemagne).
Jacques Courtaud sera en définitive le seul survivant de cette mission, mais son parcours au sein de la résistance sera lui aussi difficile. Suite à une vague d’arrestations, il se retrouve le seul opérateur radio de la Confrérie-Notre-Dame durant l’été 1942 et doit passer le reste de l’année à réorganiser le service radio aux côtés du colonel Rémy. Arrêté le 28 juin 1943 par la Gestapo, il est interné à Fresnes puis déporté à Buchenwald, Dora-Ellrich et Bergen-Belsen, et ne sera rapatrié que le 5 juin 1945 en France.
La mission « Mec-Goldfish », bien que méconnue, ses membres ayant eu un tragique destin, constitue la première opération de parachutage au profit de la Résistance ayant eu lieu dans le département de l’Aisne. Soucieux de faire perdurer la mémoire de ce fait important dans l’histoire de la Résistance axonaise, l’association des Combattants Volontaires de la Résistance (C.V.R.) se mobilise pour qu’un monument soit érigé à Andigny-les-Fermes dans les années 1960. Sous l’impulsion de M. Devailly, secrétaire des C.V.R de Saint-Quentin, et de M. Varlet, maire de Vaux-Andigny, il est inauguré le 15 octobre 1967 et rappelle encore aujourd’hui ce fait majeur de la Résistance française dans l’Aisne.
Publié le 03 sep 2024 - Mis à jour le
Le 1er février 1944, le Comité Français de Libération Nationale appelle les réseaux à s’unir pour former les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.).
Dans la perspective du débarquement allié et de la Libération du territoire métropolitain, cette décision vient parachever l’œuvre d’unification et de structuration de la résistance sur le plan militaire en différents groupements, et voit la création du groupement B de l’Aisne.
C’est au mois de mars 1944 que les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont ainsi constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry).
Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanants du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront ainsi combiner l’action des groupes de résistance. Cette nouvelle organisation, qui assure à tous les groupes de recevoir armes, munitions et matériel grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise à renforcer l'efficacité de la résistance en vue de la Libération.
L’arrondissement de Laon voit alors de nombreux réseaux de résistance cohabiter, comme l’Armée Secrète (A.S.), le Noyautage des Administrations Publiques (N.A.P.), le réseau de renseignement Samson ou encore les Francs-Tireurs et Partisans Français (F.T.P.F.) avec notamment le groupe « Guy Môquet » d’Henri Pruvost. A ces réseaux se superposent les mouvements politiques de résistance, avec principalement l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.) et Libé-Nord autour de Lionel Lefèvre, Joseph Rault puis de Robert Cadeau.
A partir de 1942 et principalement 1943, tous ont mené, chacun à leur manière, diverses actions de résistance comme la collecte de renseignements, la diffusion de tracts, les sabotages, la récupération et le camouflage d’armes, mais aussi l’aide aux aviateurs et aux prisonniers évadés de manière générale. En effet, la situation de l’arrondissement de Laon (surtout du secteur Chauny-Tergnier) est particulière durant les premières années de l’occupation. Nœud ferroviaire à la limite entre la zone occupée et la zone interdite, ce secteur est un point de passage très fréquenté par les réfugiés, prisonniers évadés ou aviateurs alliés tombés en territoire occupé, ce qui a conduit à la création de nombreuses filières.
L’homme nommé à la tête du Groupement B est Etienne Dromas (1911-1995). Résistant A.S./O.C.M. d’Ugny-le-Gay, celui-ci avait formé à partir de 1942 plusieurs réseaux de résistance sous le pseudonyme de Camille puis de René, prenant une part active de grande ampleur dans le sauvetage d’aviateurs alliés tombés en zone occupée d’une part (réseau Pat O’Leary, Comète, Bourgogne puis Shelburn), et dans la collecte et le transfert de renseignements vers Londres d’autre part. Dans les semaines qui suivent, Etienne Dromas désigne lui-même ses chefs de secteurs, et tout le Groupement B se structure peu à peu dans tout l’arrondissement de Laon en trois secteurs nommés B1, B2 et B3, avec à leur tête Jean Bruxelle, René Delozanne et Pierre Maujean.
Après des années d’attentes pour certains, des mois passés à recruter les volontaires, accueillir les réfractaires au STO, diffuser des journaux clandestins, récupérer armes et de matériel depuis 1943, les résistants de l’Aisne allaient enfin pouvoir passer à l’action dans le cadre des plans établis par les Alliés.
Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans de mobilisation furent élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Ces différents plans avaient eux-mêmes, au préalable, été approuvés par le général de Gaulle dans son « Instruction concernant l’emploi de la résistance sur le plan militaire au cours des opérations de Libération de la métropole » datée du 16 mai 1944. Le chef du Comité français de Libération Nationale est cependant conscient des capacités réelles de la résistance, et souhaite qu’une action progressive et dosée soit lancée le moment venu, afin d’éviter une insurrection générale qui serait sévèrement et rapidement réprimée par les troupes d’occupation allemande. Cet espoir disparaît toutefois le 2 juin 1944 lorsque le Supreme Headquarters of Allied Expeditionary Force (S.H.A.E.F.), le commandement suprême des troupes alliées en Europe, décide qu’en parallèle du débarquement, tous les plans prévus doivent être déclenchés de manière à semer une confusion généralisée dans les états-majors allemands, quel que soit le prix à payer par la résistance.
Le 5 juin 1944, dès que la décision de lancer le débarquement le lendemain aux premières heures du jour est prise, 210 messages codés sont transmis à la résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France. Deux autres plans sont aussi mis à exécution: le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques et le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension.
Le message le plus important est celui concernant le plan Rouge, qui signifie que l’insurrection armée de la résistance doit être déclenchée. Sur le principe de la guérilla, six zones difficilement accessibles doivent devenir des points de fixation à l’arrière du front allemand : le Morvan, le Massif Central, les Pyrénées, les Alpes, le Jura et les Vosges. Toutefois dès le 10 juin, l’état-major du général Koenig transmettra aux groupements de résistance l’ordre de freiner au maximum les actions de guérilla, ceux-ci n’étant effectivement pas en capacité de combattre pendant des mois en attendant l’arrivée des troupes alliées, et le commandement allié n’ayant pas les moyens ni la volonté de ravitailler en armes et en munitions une résistance dont la valeur combattante est encore, à leurs yeux, sujette à caution.
Dans l’Aisne, dès l’annonce des messages de la B.B.C., les équipes de sabotages se mettent à pied d’œuvre, neutralisant de nombreuses lignes téléphoniques et voies de chemin de fer, selon les plans Vert et Violet. En application du plan Tortue, de nombreux crève-pneus sont répandus sur les principales routes du département, les panneaux indicateurs sont déplacés afin d’accroître la confusion des troupes allemandes. Tous les moyens sont bons pour ralentir l’acheminement des troupes allemandes vers la Normandie. Ainsi, le 18 juin 1944, à Athies, le groupe de résistants locaux se place au passage à niveau de la voie ferrée où un convoi ferroviaire allemand est arrêté, et vendent aux soldats des bouteilles d’alcool méthylique, qui est en réalité un poison…
Le département n’est cependant pas en première ligne et les moyens manquent rapidement, aussi il faudra attendre des parachutages pour que l’action du groupement B soit relancée de manière plus prononcée en juillet et en août 1944. Ainsi, dans la nuit du 19 au 20 juin 1944, un transport d’armes particulièrement périlleux a lieu depuis La Bouteille jusque Chauny, les résistants qui l’exécutent (Chede, Choin, Thuillier et Logeon) forçant un barrage allemand devant l’hôpital de Chauny en tirant sur les sentinelles, avant de camoufler leur cargaison dans une carrière désaffectée de La Neuville-en-Beine. Le 10 juillet, dans le secteur B2 de René Delozanne, un transport d’armes et d’explosifs a également lieu depuis Sons-et-Ronchères vers Coucy-lès-Eppes, afin d’armer les résistants pour les actions futures. Le 9 août, c’est aux Beines, entre Guiscard (60) et Guivry, qu’un parachutage a lieu mais un des deux appareils est abattu par un chasseur de nuit tandis que le 27 août, deux avions effectuent un nouveau parachutage à Béthancourt-en-Vaux. L’Est de l’arrondissement n’est pas non plus en reste, puisque dans la nuit du 26 au 27 août, un important parachutage de 11 containers a lieu au terrain « Sang » dans la forêt du Val-Saint-Pierre près de Tavaux-et-Pontséricourt, et 3,5 tonnes d’armes, de munitions, d’explosifs, de matériel et de billets sont répartis entre René Delozanne pour le secteur B2 et Pierre Maujean pour le secteur B3.
Dès le lendemain du débarquement, la répression allemande se durcit. Le 7 juin, à Coucy-le-Château-Auffrique, deux agents de la Gestapo se faisant passer pour deux membres du groupe d’Hirson, démantelé, réussissent à se faire recevoir par le résistant Paul Gautier. Le soir même, alors qu’ils écoutent la B.B.C., le garage de Paul Gautier est investi par les Allemands. Alors qu’il tente de fuir avec son beau-frère Daniel Lefèvre, ils sont abattus. Etroitement liés par leur situation géographique aux groupes de résistance du secteur de Noyon, les résistants du Groupement B seront aussi particulièrement touchés par l’attaque allemande du maquis des Usages à Crisolles (Oise), le 23 juin 1944, les Allemands multipliant les attaques de maquis durant l’été 1944 (La Coupille dans l’Aisne le 7 juillet 1944, mais aussi dans les départements des Alpes en juillet 1944).
Dans les jours qui précèdent l’arrivée des troupes américaines sur le territoire axonais, aux sabotages de voies ferrées s'ajoutent le démontage de panneaux indicateurs routiers et la pose intensive de crampons crève-pneus. Le 24 août, les voies ferrées et les lignes téléphoniques entre Laon et Reims sont totalement coupées par les F.F.I., interrompant le trafic pendant trois jours. L’annonce de la Libération de Paris, à quelques heures de route de l’Aisne, galvanise les résistants qui redoublent d’efforts pour faciliter l’avancée des troupes alliées.
Le 28 août, à Bourg-et-Comin, les soldats Allemands minent les 3 ponts et mettent le feu à deux d’entre eux avec de la paille et de l’essence. Dans la soirée, le groupe de résistants locaux conduit par un certain Beaumanoir, scaphandrier breton réfractaire au STO, éteint le feu et enlève les mines des ponts alors que les mèches sont déjà allumées, permettant de sauver les ponts et de permettre le passage des chars américains. Dans les jours qui suivent, les secteurs B2 et B3 sont en effet à la manœuvre pour entraver le repli des troupes allemandes et de nombreux accrochages ont lieu. Ce climat ne fait malheureusement qu’attiser la peur des partisans chez les troupes allemandes, et cela conduit à des exactions comme à Tavaux, où après un accrochage avec des résistants sur le secteur B3 dans la matinée du 30 août, une colonne de soldats S.S. des divisions Adolph Hitler et Hitlerjugend venus de Marle et de Montcornet incendie 86 maisons et exécute 20 civils, dont Odette Maujean, l’épouse du chef du secteur B3, Pierre Maujean. Appelés à l’aide, 150 résistants du secteur B2 accourent le 31 août à Tavaux et se heurtent aux Allemands encore présents, libérant le village avant l’arrivée des chars américains en fin de journée, mais ne pouvant que constater le massacre qui venait d’endeuiller Tavaux.
Le 30 août, les interceptions de véhicules allemands par les résistants se multiplient, ainsi que la prise de contrôle des sites stratégiques, comme la centrale électrique de Beautor, avant qu’elle ne soit sabotée par les Allemands en repli. Toutefois quand le rapport de force est trop déséquilibré, les résistants restent prudents. Ainsi les résistants de Travecy se font discrets quand une colonne de 300 soldats allemands suivie d’un char traverse leur village. De même à Condren, où plus d’une centaine de soldats allemands sont positionnés sur le pont du canal de Saint-Quentin, rendant impossible toute intervention des résistants pour empêcher la destruction du pont de l’Oise et du pont sur le canal à Fargniers. De nombreux accrochages ont également lieu autour de Saint-Gobain et Deuillet, et un convoi est attaqué entre Coucy-le-Château et Prémontré. Tout au long de la journée, les résistants servent d’éclaireurs aux troupes américaines et leur indiquent les points de résistance allemands. C’est ainsi que leur progression permet de libérer Laon dans la journée du 30 août.
Malheureusement la Libération compte aussi ses drames, comme celui de la mission Jedburgh « Augustus » composée du major américain John Bonsall, du capitaine français Jean Delviche et du sergent-radio américain Roger Cote, qui sont arrêtés par les Allemands à Barenton-sur-Serre le 30 août. Leur mission était de coordonner l’action des maquis et des réseaux de résistance avec la progression des troupes alliées. Parachutés en civil et avec des faux papiers à Colonfay près de Guise le 15 août 1944 avec 24 containers de matériel, ils avaient été pris en charge par la résistance locale et avaient parcouru tout le département du nord au sud pour accomplir leur mission. Arrêtés dans la nuit à un point de contrôle qu’ils n’avaient pas repéré dans l’obscurité, ils furent immédiatement abattus, probablement par des soldats de la 9e S.S. Panzer-division et de la 116e Panzer-division.
Le 1er septembre, La Fère est libérée par les groupes de F.F.I. du secteur B1 qui multiplient les sabotages sur les routes et interceptent les patrouilles allemandes. Saint-Gobain est libérée également ; des accrochages ont lieu à Deuillet entre soldats allemands en repli et résistants épaulés par quelques soldats américains en reconnaissance, et un officier américain y laissera la vie. Dans la matinée du 2 septembre, les troupes du 5e corps d’armée américain pénètrent dans Chauny désertée par les troupes allemandes. Seul un groupe bien encadré d’une centaine de soldats est signalé aux environs de Villequier-Aumont et les chefs de la Résistance, Etienne Dromas en tête, s’y dirigent alors, et rassemblent tous les groupes disponibles pour encercler le bois de Frières-Faillouël. Des F.F.I., accompagnés d’un officier américain, contraignent ainsi 105 soldats allemands à se rendre, facilitant la libération de Tergnier dans la journée. Dans les jours qui suivent, des combats de nettoyage des trainards de l’armée allemande ont lieu dans tout l’arrondissement de Laon, achevant sa libération définitive.
Après la Libération, tous les F.F.I. resteront mobilisés, assurant la garde des carrefours routiers et des ponts ainsi que la garde des installations militaires et dépôts d’essence. Ils seront également employés pour le maintien de l’ordre et participeront à l’épuration, notamment des municipalités, mais aussi à l’assistance aux familles des F.F.I. tués au cours des combats. Le 22 septembre 1944, ils seront officiellement démobilisés et plusieurs dizaines d’entre eux contractèrent un engagement pour la durée de la guerre au sein de l’armée française. Rassemblés au quartier Drouot de La Fère, ils formèrent le bataillon F.F.I. 5/2, qui combattra aux côtés de la 1ère D.F.L. sur le front d’Alsace puis dans les Alpes. Les F.F.I. du groupement B seront à nouveau mobilisés en décembre 1944 suite à l’attaque allemande dans les Ardennes, afin d’assurer la garde des carrefours et des installations militaires stratégiques, notamment la centrale électrique de Beautor, avant d’être à nouveau démobilisés, leur tâche accomplie.
D’après les documents officiels de liquidation administrative du groupement B conservés au Service Historique de la Défense à Vincennes, ce sont 2 415 résistants F.F.I. qui constituaient, à la Libération, les effectifs du groupement B, sous les ordres de 114 officiers et sous-officiers. Après la Libération, le groupement B des F.F.I. déclarera avoir tué ou blessé 182 soldats allemands et capturé 543 prisonniers, déplorant de son coté 50 combattants F.F.I. tués.
La guerre terminée, les résistants d’hier reprirent le cours de leur vie, sans jamais pouvoir oublier cette période marquante. Porté par les Combattants volontaires de la Résistance (C.V.R.) un projet de monument voit le jour. C’est à l’architecte Maurice Berry (1908-1995) qu’est confié cette lourde tâche. Architecte en chef des Monuments Historiques en charge du département de l’Aisne depuis 1948, ce dernier est alors renommé pour avoir contribué à la restauration de nombreux monuments en France dont les abbayes de Conques (12), Cluny (71) et Tournus (71), la vieille Bourse de Lille (59), mais aussi l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes à Soissons, l’hôtel du Petit-Saint-Vincent à Laon, l’abbaye Saint-Martin à Laon ou encore le cloître des chanoines de la Cathédrale de Laon.
Quant au sculpteur choisi pour réaliser les hauts-reliefs, il s’agit d’André Bizette-Lindet (1906-1998). Grand prix de Rome de sculpture en 1930, élève d’Antoine Injalbert puis de Paul Landowski, on lui doit les figures des portes de bronze du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, mais aussi, dans le même registre que le monument de Chauny, la fresque représentant le Fezzan au sein du mémorial de la France combattante au Mont Valérien (92). Fruit de leur travail, le monument dédié aux Résistants et Déportés du Groupement B est inauguré à Chauny le 9 mai 1965 et honore encore aujourd’hui leur mémoire.
Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et afin de valoriser cette histoire, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 27 mai 2024 à l’occasion de la Journée nationale de la Résistance.
Publié le 30 aoû 2024 - Mis à jour le
Au début de l’année 1944, la répression contre les actes de résistance qualifiés de « terroristes » par les autorités d’occupation allemande se durcit toujours davantage.
À la suite de l’assassinat d’Emile Delhaye, maire collaborateur de Saint-Quentin, le 31 mars 1944, et pour envoyer un message politique fort à la population, les autorités d'occupation allemande décident en représailles de faire condamner à mort 30 résistants détenus dans la prison de la ville depuis plusieurs mois.
C’est au 27 de la rue d’Isle, dans les locaux de la banque Journel, que le tribunal militaire allemand de la Feldkommandantur 602 de Saint-Quentin s’est rassemblé afin de juger ces hommes. Le 6 avril dans la matinée, 30 prisonniers sont amenés en camions, menottés et couverts de cagoules. Parmi eux, une grande partie du détachement 23 « Gabriel Péri », groupe « Jean Catelas » des Francs-Tireurs et Partisans Français (F.T.P.F.) de Fresnoy-le-Grand, Croix-Fonsommes et Etaves-et-Bocquiaux :
Actif à partir d’août 1943, ce groupe était le bras armé du réseau Musician-Tell du Special Operations Executive (S.O.E.) dirigé par le commandant Gustave Biéler, alias « Guy », réceptionnant des parachutages d’armes et effectuant principalement des sabotages sur la voie ferrée entre Fresnoy-le-Grand et Saint-Quentin. Ainsi, en septembre-octobre 1944, le groupe fait dérailler plusieurs convois de munitions et de matériels allemands, dont le plus important concerne le transfert d’une escadre aérienne de la Luftwaffe depuis la Hollande vers l’Italie. Le déraillement causera la mort de 62 soldats allemands et une centaine de blessés. Le 1er janvier 1944, ce sont vingt-neuf wagons de matériel qui déraillent lorsqu’un convoi de charbon et un train de minerai entrent en collision, ce qui achève d’alerter les autorités allemandes sur la menace que fait peser ce groupe de résistants. Au total le groupe participera à sept déraillements réussis et ainsi qu'à quelques sabotages d’écluses sur le canal de Saint-Quentin. Mais le 13 janvier 1944, le filet de la répression nazie se resserre quand le commandant Guy est arrêté au café du Moulin Brûlé à Omissy. Quelques jours plus tard, le 26 janvier, la plupart des membres du groupe sont arrêtés au cours d’une rafle de la Sipo-SD de Saint-Quentin à Fonsomme, Fresnoy-le-Grand et Etaves-et-Bocquiaux. A leurs côtés se trouve aussi Roger Vanbleuy, né le 20 mars 1922 à Bray-Dunes (Nord), ouvrier métallurgiste à Dunkerque (Nord) membre du parti communiste clandestin, qui avait été chargé par l’état-major interdépartemental de la récupération d’armes et du sabotage dans le secteur de Busigny (Nord), Bohain-en-Vermandois, Fresnoy-le-Grand et Vaux-Andigny, et qui avait été arrêté le 28 janvier 1944.
Numériquement, le groupe de résistants « Liberté » de Neufchâtel-sur-Aisne est ensuite le plus représenté parmi les accusés avec :
Ce groupe, constitué par Paul Gillant, faisait partie du réseau Ceux De La Résistance (C.D.L.R.) selon certaines sources, des F.T.P.F. selon d’autres, et était particulièrement actif à la jonction de l’Aisne, des Ardennes et de la Marne à partir d’août 1943, se spécialisant dans le sabotage des écluses sur le canal latéral à l’Aisne. Profitant de sa fonction de secrétaire de mairie, René Begard fournissait aussi de faux papiers aux prisonniers évadés et aux réfractaires au Service du Travail Obligatoire, tandis qu’Albert et Henri Charpentier (père et fils) facilitaient leurs évasions, constituant des dépôts d’armes jusque dans la cave de leur maison. René Guibal, quant à lui, réfractaire au STO, aurait participé à des sabotages de voies ferrées tandis que Charles Liverneaux avait participé à plusieurs transports d’armes et sabotages, dont l’arrêt de la circulation fluviale sur le canal latéral à l’Aisne et la destruction des cuves d’alcool de la sucrerie de Guignicourt. Traqués par la Sipo-SD et la Feldgendarmerie de Saint-Quentin, la sûreté du groupe est compromise le 19 février 1944 avec l’arrestation de Paul Gillant. La suspicion fut depuis jetée sur lui mais rien ne permet encore à ce jour de savoir s’il révéla les noms de ses camarades lors de son interrogatoire. Le fait est que cinq jours plus tard, le 24 février, les autres membres du groupe étaient arrêtés au cours d’une rafle à Neufchâtel-sur-Aisne.
Viennent ensuite les membres du groupe F.T.P.F. appartenant au détachement « La Corse 22 » de Busigny (Nord), parmi lesquels on trouve les noms de :
Ce groupe avait été fondé par les frères Desjardin et comprenait une majorité d’agents SNCF. Par leur situation, ils étaient bien placés pour pratiquer certains sabotages, comme l’incendie de sept wagons de paille dans la gare de Busigny, le sabotage des voies et de locomotives ainsi que diverses actions dans le nord de l’Aisne et dans les environs de Busigny, Bohain-en-Vermandois et Fourmies (réception de parachutages, transports d’armes, récupération de tickets de ravitaillement). Les 4 et 5 février 1944, la Sipo-SD de Saint-Quentin démantèle le groupe, dont seul un membre est déporté (Edmond Degond, au camp de Brême-Farge, dont il reviendra).
On compte également plusieurs membres du groupe F.T.P.F. « Stalingrad » de Beautor, qui avaient eux aussi participé à de nombreuses actions contre les troupes d’occupation : sabotages de voies ferrées, attaques de mairie afin de récupérer des tickets d’alimentation, attentats contre des collaborateurs. Leur chef de groupe, Jean-Marie Collin, né le 20 juin 1920 à Inzinzac (Morbihan) chaudronnier à Tergnier, avait été arrêté le 28 janvier 1944 lors d’une réunion clandestine aux côtés de Maurice Deffromont (né le 4 mai 1924 à Fargniers Aisne), déchargeur à la SNCF, et son frère Jean (qui sera déporté à Dachau). A leurs côtés on retrouve également Maurice Back, né le 19 mai 1926 à Mohon (Ardennes). Ce dernier, manœuvre domicilié à Mézières (Ardennes), avait été arrêté le 31 janvier 1944 à Tergnier au cours d’une opération menée par la 21e brigade de police judiciaire de Saint-Quentin et la Sipo-SD de Saint-Quentin.
En dehors de ces hommes appartenant à des groupes de résistants identifiés, on compte également plusieurs autres résistants parmi les accusés :
Le procès qui débute alors n’est qu’une parodie de justice. Certaines sources avancent que les cercueils avaient déjà été commandés. Le détail du procès n’est à ce jour pas encore connu, si ce n’est le verdict : les 30 accusés sont condamnés à mort pour « actes de franc-tireur, attentats et sabotages de voies ferrées » après deux jours d’audiences. Immédiatement ramenés à l’« Hôtel des 4 boules », les condamnés n’ont alors que quelques heures devant eux. Certains écrivent quelques mots à la hâte sur des morceaux de papier cachés dans les plis de leurs pantalons ou de leurs chemises, avant de jeter leur linge à leurs gardiens pour qu’il soit remis à leur famille. Quelques heures avant l’exécution, un prêtre passe parmi eux pour les confesser et on les autorise ensuite à écrire une dernière lettre à leur famille, mais celles-ci feront l’objet d’un passage entre les mains de la censure et toute mention des mots « France » ou « Patrie » y sera retirée. Ainsi Fernand Monot, du groupe « Jean Catelas » de Fresnoy-le-Grand, laissera une lettre à sa famille :
« Saint-Quentin, le 8 avril 1944
Très chers parents frères et sœurs, ainsi que ma tendre fiancée et toute ma famille,
Il est 5 heures du matin suite à notre jugement de jeudi nous venons d’apprendre la triste nouvelle que j’ai encore le courage de vous apprendre.
Nous allons passer devant le peloton d’exécution dans 2 heures. Mon cher père et ma chère mère je sais que je vais vous faire de la peine, mais voyez-vous ; pardonnez-moi de vous avoir fait tant de peine.
Maintenant, je vais mourir courageusement.
Maintenant, je vais laisser aussi ma petite chérie qui va souffrir aussi, mais voyez-vous je compte sur vous pour que vous lui fassiez comprendre qu’elle est encore jeune et qu’elle peut se refaire sa vie. Surtout il faudra qu’elle m’oublie et qu’elle se refasse une situation. Le curé vient de passer dans la cellule où il m’a confessé et m’a communié car j’ai voulu mourir sans aller contraire à vos pensées.
Oui je vais mourir avec courage, le plus qui me fait de mal au cœur c’est que je vais vous faire de la peine à tous, mais voyez-vous je pense que vous surmonterez tout.
Mon cher père, ma chère mère, mon frère, mes sœurs, ma chère fiancée, ainsi que toute ma famille, et tous ceux qui peuvent parler de moi je vais vous quitter aujourd’hui même et pour toujours en vous envoyant pour la dernière fois tous mes meilleurs baisers.
Fernand. »
De son côté, Henri Charpentier, du groupe « Liberté » de Neufchâtel-sur-Aisne, laissera dans l’ourlet d’une de ses manches de chemise le mot suivant :
« Ma chère Maman, frères et sœurs,
C’est le dernier mot que je vous envoie ; nous avons passé devant le tribunal ce matin : Gillant, Bégard, Dussart, Guibald, Virgile [Muteau], Differdange, Liverneau. Soyez courageux et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Voici le verdict : le tribunal prononce pour chacun de nous la peine de mort.
J’ai été très courageux. Vous pouvez être fiers de moi. Je n’ai pas peur de mourir. Nous avons demandé le recours en grâce. Maintenant il n’y a plus qu’à attendre. On ne sera peut-être pas fusillé.
Prévenez Pol, je suis en cellule avec Bégard, il y a un mot pour sa femme.
Surtout que Maman soit courageuse ; qu’elle pense aux deux petits et qu’elle soit fière d’avoir un fils qui va peut-être mourir pour la France.
Je n’ai fait que mon devoir, je ne regrette rien. J’ai bien pensé à vous ces jours derniers, ainsi qu’à Papa. Savez-vous où il se trouve ?
Vous embrasserez bien Pol et Denise pour moi, ainsi que toute la famille. Je revois encore les bons moments que nous avons passés ensemble. J’ai bien fait d’en profiter, enfin tout n’est peut-être pas perdu et courage.
Je te quitte ma chère Maman en t’embrassant bien tendrement et pardonne-moi les fautes que j’ai commises, car si j’avais su, j’aurais été plus gentil avec toi, et vous, mes chères sœurs, je vous embrasse pour la dernière fois et promettez moi d’être gentilles avec Maman. Embrassez bien surtout mes deux petits frères que j’aime tant.
Adieu chers tous, Courage !
Henri ».
Quelques heures plus tard, alors que le jour n’est pas encore levé ce samedi 8 avril 1944, les condamnés sont emmenés à bord d’un camion et prennent les boulevards jusqu’à la route de Cambrai. Arrivés au champ de tir de La Sentinelle, ils sont descendus devant les talus, tandis qu’un second camion chargé de vingt-sept cercueils pénètre à son tour sur le site. Pour une raison inconnue, trois des condamnés – André Dauriol, Maurice Isart et Léon Roussel – ont été graciés et ne seront pas exécutés. Rejugés quelques jours plus tard à Laon, ils seront à nouveau condamnés et fusillés au stand de tir des Blancs-Monts, le 22 avril 1944. Un bandeau est alors proposé aux 27 résistants condamnés à mort (le même nombre qu’à Châteaubriant le 22 octobre 1941). D’après le récit paru dans la presse en 1944 de Pol Charpentier, frère de l’un des fusillés, il semble que la plupart des condamnés aient refusé d’en porter un. Puis les exécutions eurent lieu, quelques condamnés se voyant achevés d’une balle de revolver avant d’être tous placés dans les cercueils. Emmenés au cimetière du Nord, ils furent placés dans une fosse tandis que l’abbé Briodin, curé de Remicourt, récitait une dernière prière pour eux. Dans la journée, une affiche rouge était placardée sur les murs de Saint-Quentin, comme une mise en garde à la population et une tentative de dénonciation des « crimes » commis par ces résistants :
« AVIS IMPORTANT
Les 6 et 7 avril 1944, le Tribunal allemand compétent a condamné à mort une bande de terroristes pour avoir perpétré des attentats dans les départements de l’Aisne et du Nord, depuis l’été 1943 jusqu’au mois de février 1944. Ces terroristes ont non seulement commis des actes de sabotage sur les voies ferrées, les locomotives de chemin de fer et le Canal de l’Aisne, ils ont aussi attaqué à main armée les mairies et les fermes de la région.
Ce sont des armes et des explosifs lâchés par des avions anglo-américains qu’ils ont ramassés et qui leur ont servi à exécuter leurs attentats, par suite desquels nombre de personnes pour la plupart de nationalité française ont été tuées ou blessées. De plus, le secteur économique, c’est-à-dire notamment la population française du pays, a essuyé des pertes déplorables.
Les arrêts de mort précités ont été mis à exécution.
Il y a lieu, à cette occasion, de rappeler encore une fois à la population civile les graves conséquences auxquelles s’expose quiconque participe à de pareils actes de terrorisme ou bien néglige d’avertir les autorités aussitôt qu’il a connaissance d’un attentat, soit effectué, soit projeté.
Der Feldkommandant. »
D’après le récit de Pol Charpentier paru dans L’Aisne Nouvelle à la fin de l’année 1944, des milliers de personnes défilèrent devant la fosse recouverte d’un tertre de terre dans les jours qui suivirent, pour y déposer des fleurs. Craignant que ces hommages se muent en manifestation patriotique, il fut ordonné la fermeture du cimetière jusqu’au mardi 11 avril. Au mois de mai 1944, les autorités allemandes autorisèrent cependant les familles à exhumer les corps de leurs proches et à les ramener dans leurs communes. Après la guerre, un monument fut érigé à l’entrée du champ de tir de La Sentinelle et chaque année, une cérémonie du souvenir a lieu à la date du 8 avril, pour perpétuer leur souvenir et honorer leur mémoire.
Cette borne du réseau départemental "Aisne Terre de Mémoire" a elle-même été inaugurée le 8 avril 2024, jour du 80e anniversaire de l’exécution de 27 résistants au champ de tir de La Sentinelle.
Publié le 02 sep 2024 - Mis à jour le
Dans la nuit du 9 au 10 mai 1944, des résistants du Bureau des Opérations Aériennes, venus réceptionner un parachutage d’armes et de matériel sur le terrain « Fanfare » de Fresnes-en-Tardenois sont encerclés. Par petits groupes, certains parviennent à s’échapper et dix d’entre eux sont arrêtés et déportés, ce monument leur rend hommage. Voici leur histoire.
Le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.) de la France combattante voit le jour en avril 1943. La Résistance française s’organise alors sur tout le territoire métropolitain et Jean Moulin, délégué civil et militaire du général de Gaulle, souhaite mettre en place en zone nord une structure similaire au Service des Opérations Aériennes et Maritimes (S.O.A.M.) qu’il a mis en place en zone sud. Créé par le Bureau Central de Renseignements et d’Action (B.C.R.A.), le B.O.A. est donc chargé de superviser l’acheminement et l’exfiltration des agents et du courrier, mais aussi de réceptionner les parachutages d’armes. Dès le printemps 1943, le B.O.A. peut fournir au B.C.R.A. près de 500 terrains de parachutage dans toute la France et est en mesure d’effectuer 100 à 200 opérations par mois. Au total près de deux mille terrains seront homologués par la RAF dans toute la France, permettant de recevoir des centaines de parachutages au profit de la Résistance.
Dès sa création, le B.O.A. s’organise en région dans la zone nord, et un responsable est désigné pour chaque zone, charge à lui d’organiser et de recruter des membres pour cette action clandestine très risquée, la détention d’armes étant alors interdite par les autorités d’occupation.
C’est Pierre Deshayes (1918-2011) qui est désigné pour diriger la Région A englobant la Seine-Inférieure, le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l’Aisne, sous le pseudonyme « Rod ». A la fin du mois d’août 1943, après avoir pris en main sa région et choisi des terrains de parachutages, il délègue le département de l’Aisne à Arnaud Bisson (1909-1944) mais continue de participer ponctuellement aux opérations. Dans le sud de l’Aisne, Bisson et Deshayes peuvent compter sur André Dodart (1910-2005), alias « Seigneur » pour recruter et diriger les équipes du B.O.A. et organiser la réception des agents et des parachutages clandestins.
Ce dernier, pragmatique, ira même jusqu’à adresser des consignes aux agriculteurs du sud de l’Aisne afin que les activités du B.O.A. ne soient pas entravées :
« FORCES FRANCAISES DE L’INTERIEUR
Pour des raisons d’ordre militaire, on nous donne l’ordre de vous inviter à ne pas déchaumer sur les plateaux qui ne sont pas encombrés de lignes électriques ou téléphoniques.
En exécution de cet avis vous avez toute liberté de déchaumer les champs situés dans les vallées ou sur les plateaux sur lesquels passent des lignes électriques ou téléphoniques. Tout autre plateau devra être laissé intact après que la moisson aura été rentrée.
Cet avis ne doit pas être divulgué, n’en parlez ni à vos amis, ni même aux cultivateurs voisins ou éloignés de votre domaine. Tout bavardage serait coupable et serait châtié.
Nous pensons que vous aurez à cœur de faire tout votre possible, voire l’impossible pour obéir à cet ordre émanant des autorités suprêmes, et remplir de cette manière vos devoirs de Français.
B.O.A.
Le chef de la Zone SudNota : On vous a signalé les méfaits commis par des bandes armées dans les fermes et les villages de la région. Nous tenons à vous assurer que des bandes n’ont aucune attache avec les Forces Françaises de l’Intérieur dont le seul but est de libérer la France de l’envahisseur et non de terroriser les populations de notre pays. Un châtiment exemplaire attend ces bandits qui parfois osent se parer de nos titres pour menacer et pour piller. »
A Fère-en-Tardenois, un petit groupe se constitue à partir de la fin de l’année 1943 sous l’impulsion de Georges Thunière. A compter de février 1944, à pied, à bicyclette, ce petit groupe d’hommes est mobilisé à de nombreuses reprises pour réceptionner clandestinement des parachutages d’armes sur les terrains de Beuvardes, Arcy-Sainte-Restitue, Fresnes. Des caches d’armes sont alors organisées, la répartition des armes auprès des groupes de résistants devant se faire dans un second temps. Parmi les hommes de ce groupe se trouve alors un jeune employé de banque, Paul Coeuret, qui se souviendra dans ses mémoires du premier parachutage auquel il assista à Arcy-Sainte-Restitue, le 13 mars 1944, sur le terrain « Culotte » :
« Nous faisons connaissance avec « Seigneur », nom de guerre du capitaine Dodart qui dirige le secteur sud du département ; Thunière étant chef du réseau de Fère-en-Tardenois. Celui-ci nous donne comme consigne à Lechat et moi-même de monter la garde au hangar qui se trouve au nord de la route de Soissons à 800 mètres environ du lieu de parachutage. Nous nous postons donc là et faisons très attention à ne pas faire de bruit pour éviter d’attirer l’attention. Nous restons là pendant 2 heures à peu près, puis nous entendons des bruits d’avions. Nous ne bougeons pas, un avion passe assez bas. Sur le terrain de parachutage, les signaux à terre indiquent à l’avion qu’il est attendu. L’avion fait un petit tour, puis après repérage, repasse et cette fois le parachutage a lieu. Malgré l’obscurité, nous pouvons apercevoir les parachutes larguant les containers d’armes. Avec Lechat nous nous taisons mais notre cœur bat très fort et après un moment de silence, le père Lechat , ancien combattant de 1914-1918, me dit doucement « Cette fois, les boches n’ont plus qu’à bien se tenir ! » Une demi-heure plus tard, un nouvel avion se fait entendre et la même opération se reproduit avec le même cérémonial. Un quart d’heure après quelqu’un venait nous chercher pour aider au transport des containers et à notre tour, nous entrons vraiment dans cette Résistance qui nous tenait à cœur. Sur ce terrain de parachutage, nous retrouvons des têtes connues, comme Gébert, Dubois Pierre, son neveu, puis d’autres encore dont je ne me rappelle pas des noms. Nous sommes réunis là pour la même cause et nous ressentons une légitime satisfaction à travailler pour la Libération de notre pays. Toutes ces opérations se font dans le silence car il ne faut pas alerter les Allemands qui ont sûrement entendu le passage des avions à basse altitude. Les containers largués par les avions sont tombés quelquefois plus loin qu’il ne faudrait, même dans les arbres (pas très souvent) mais il faut quand même les y retirer ce qui n’est pas toujours chose facile, surtout que c’est assez lourd à transporter. Toutes ces opérations ont pris du temps car les containers ont été mis en lieu sûr dans un trou, au milieu d’un bois, dans lequel il faut descendre par une échelle de corde ce qui occasionne quand même quelques problèmes de manipulation. En conclusion de tout cela, il est 4 heures ½ du matin et avant de se séparer, des recommandations nous sont faites par le responsable (Dodart) : surtout des consignes de silence à tous points de vue. Il nous faut regagner nos habitations, par groupes de 5 ou 6, nous repartons à vélo. Ce premier parachutage se passe sans anicroche et nous rentrons chez nous un peu fourbus mais très contents quand même. »
Ces opérations de récupération de parachutages ne feront dès lors que se succéder, et les terrains « Culotte », « Guignol », « Empire », « Fanfare » ou « Fenelon » recevront ainsi plusieurs parachutages d’armes et de matériel durant tout le printemps 1944 sous la direction d’André Dodart, dit « Seigneur ».
Mais ces nombreux parachutages dans la région avaient aussi alerté les troupes d’occupation allemandes qui renforçaient chaque jour leur étau. Le 9 mai 1944, dans les messages quotidiens de la BBC, ces résistants entendent pourtant : « La bière est trop douce ». Si le message de 11h et celui de 17h mettent en alerte le groupe, ce n’est qu’à 21h, lors de la dernière diffusion, que la confirmation tombe : un parachutage par deux appareils de la R.A.F. va avoir lieu sur le terrain « Fanfare » près de Fresnes-en-Tardenois. Rapidement, les résistants du groupe de Fère-en-Tardenois se préparent et gagnent le terrain malgré les risques et la présence accrue des troupes allemandes dans la région, André Dodart ayant décidé de tenter de récupérer ce dernier parachutage afin d’armer les résistants de la région.
A la nuit tombée, sur le terrain « Fanfare » de Fresnes-en-Tardenois, ce sont bientôt 35 résistants qui affluent pour prendre leurs ordres auprès d’André Dodart. Toutefois la tension grandit quand deux coups de feu sont entendus depuis le terrain. Deux résistants, Jean Dumont et Léon Coigne, postés en surveillance aux abords du terrain, viennent de rencontrer une patrouille allemande, et des renforts vont donc bientôt arriver. L’heure est grave et une décision doit être prise : les responsables donnent l’ordre de maintenir la réception du parachutage et organisent la défense du terrain pour repousser les troupes allemandes dans le cas où celles-ci feraient irruption.
A 23h15, un premier avion est signalé et les premiers containers sont réceptionnés, mais les doutes des résistants sur l’arrivée prochaine des troupes allemandes se confirment malheureusement, et le témoignage de Paul Coeuret est là encore très intéressant pour comprendre la tension qui règne alors sur le terrain « Fanfare » et ses abords :
« Soudain, dans la nuit, nous entendons des bruits de moteurs, cela devient inquiétant. Tout de suite, nous pensons que ce sont les Allemands qui arrivent. Au bout de 10 minutes Lechat me dit « Il faut prévenir les autres qui sont sur le terrain », je lui réponds « Vas-y, je reste là en t’attendant ». Un quart d’heure après Deshayes et Seigneur viennent me retrouver et constatent comme nous tous ces bruits de moteurs. D’autre part la nuit est très claire et il est sûr et certain que les Allemands sont en train de débarquer des troupes. Il y a encore un avion à venir et il faut le réceptionner. Ce sont les ordres. Nous sommes relevés de la garde et une autre équipe arrive pour nous remplacer. Cette fois, nous sommes prévenus et une sourde inquiétude nous gagne, mais il faut obéir et vers 1 heure du matin le deuxième avion lâche ses containers et disparaît dans la nuit. »
Sous la menace constante d’un assaut des troupes allemandes, les containers sont transportés à la hâte par les résistants qui les placent dans une fosse creusée dans la forêt afin de les dissimuler en attendant leur transport. Cette tâche terminée, le plus dur reste à faire : tenter de rentrer au milieu de la nuit en passant entre les mailles du filet.
Il est presque 4h30 quand les résistants, déjà éreintés par le transport puis la dissimulation des containers, sont rassemblés par leurs chefs pour recevoir leurs consignes : fuir à travers les bois et les pâtures, éviter le plus possible les chemins et les routes où l’on peut croiser les patrouilles allemandes, et gagner par petits groupes Beuvardes, Fresnes, Fère-en-Tardenois et Villers-sur-Fère dans le plus grand silence. L’un de ces groupes comprend Georges Thunière, René Deneuville, Arsène Lechat , Pierre Jacquet, Louis Deslandes et Paul Coeuret. Après avoir traversé plusieurs pâtures, ils arrivent à Villers-sur-Fère et décident d’enfourcher leurs vélos pour reprendre la route de Fère-en-Tardenois, Georges Thunière étant convaincu que la route est désormais sûre. Cependant, après être passés devant la mairie, Pierre Jacquet et Georges Thunière, à l’avant du groupe, sont pris à partie puis arrêtés par des sentinelles allemandes : un barrage a été installé sur la route de Fère-en-Tardenois. Alertés, les autres résistants du groupe tentent de fuir sur la route de Dormans mais sont pourchassés par les soldats allemands qui finissent par tous les arrêter. Alignés sur le bord de la route les mains en l’air pendant deux heures, ils sont fouillés et brièvement interrogés. Un seul homme sera témoin de leur malheur, Maurice Chirieux, qui se rend alors de la ferme de Favières en direction de Fère-en-Tardenois, et qui avertira les familles des résistants arrêtés. Vers 7 heures du matin, ils sont conduits à pied jusque Fresnes-en-Tardenois jusqu’au terrain de parachutage découvert par les Allemands, où ils sont contraints, sous les brimades des soldats allemands, de sortir les containers de la fosse et les charger dans la camionnette abandonnée par André Dodart. Une fois celle-ci partie, ils prennent la route du Charmel où ils subissent encore de nombreuses menaces d’exécutions sommaires avant d’être embarqués à bord de la camionnette une fois celle-ci revenue.
Emmenés à Château-Thierry, les résistants arrêtés sont isolés les uns des autres, interrogés puis conduits à la prison de la ville. Après une nuit difficile, ils sont ramenés le 10 mai 1944 dans les bureaux de la Gestapo de Château-Thierry où Georges Thunière et Pierre Jacquet sont les seuls à être torturés avant que tous les détenus soient ramenés en prison. De nouveau amenés dans les bureaux de la Gestapo deux jours plus tard, ils découvrent que d’autres membres du groupe, Albert Bayard, Robert Dubois et Paul Vincent, ont aussi été arrêtés, de même que Pierre Plaie qu’ils ne connaissent pas (un réfractaire au STO caché chez Paul Vincent). Tous sont alors conduits à Reims, puis à la prison de Saint-Quentin où, après quinze jours de détention, ils sont conduits au camp de Royallieu, à Compiègne. Dans ce camp, véritable relai du système concentrationnaire allemand en France, ils passent deux jours dans le camp annexe avant de rejoindre les trois à quatre mille détenus du camp principal où ils recouvrent la possibilité de manger de manière plus régulière, se laver, dormir (avec les puces), marcher ou encore discuter entre camarades. Pendant quelques jours, leur vie est rythmée par les rassemblements quotidiens jusqu’au 3 juin où les listes du prochain convoi tombent : 2 400 détenus partiront le lendemain pour l’Allemagne.
Le jour n’est pas levé sur le 4 juin quand les hommes sont appelés à se mettre en rang au camp de Royallieu. A 5 heures du matin, après avoir touché une boule de pain, les résistants du groupe de Fère-en-Tardenois quittent Compiègne à pied pour la gare, où ils sont enfermés par groupes de 110 hommes dans des wagons à bestiaux. Parmi eux, Paul Coeuret, dont les mémoires constituent la seule source sur le parcours de ces hommes, se souviendra de ces moments :
« Le convoi s’ébranle alors lentement. Au début, les camarades ne disent pas grand-chose. Il est convenu que pendant qu’une partie du wagon serait debout, l’autre partie serait assise. Il faut que je précise une chose : les volets d’aération de chaque wagon ont été grillagés ! L’air ne passe donc que très peu, et au bout d’une heure, cela devient irrespirable. Dans les premières heures, les gars ne sont pas trop rouspéteurs mais six heures après les plaintes commencent à se faire entendre. Certains pleurent puis se mettent à crier ; il est très difficile de les calmer. Au bout d’un certain temps, une voix s’élève et demande à tous d’être patients. Nous sommes tous dans la même situation et cette personne explique qu’il faut se calmer car si nous continuons ainsi, cela pourrait mal se terminer. J’ajoute aussi, que pour les 110 hommes du wagon, il a été mis une seule tinette pour les besoins naturels. Au bout de quelques heures, ce récipient est plein et l’atmosphère devient encore plus difficile. De temps à autre, nous essayons de voir où nous sommes, en traversant les gares et nous arrivons à nous apercevoir que nous prenons la grande ceinture de Paris. Une autre précision, à chaque extrémité des wagons, une sentinelle allemande armée est placée ceci pour déjouer les évasions qui pourraient être tentées. La première nuit va être très longue à passer et plusieurs incidents se produisent entre prisonniers. Il faut que chacun soit lucide et conscient de la situation, mais c’est très difficile à faire accepter par certains, surtout que la soif commence à se faire sentir. Dans notre groupe, le jeune Pierre Plaie commence à être très nerveux. Bayard essaye de le raisonner mais c’est une tâche bien difficile, et le voyage sera pour lui très pénible. »
Après trois jours et demi et trois nuits, les portes des wagons s’ouvrent enfin sur leur funeste destination : Neuengamme, où des S.S. et des chiens de berger les attendent déjà et les font descendre par la force des wagons. On leur attribue ensuite des numéros de matricule, ne faisant plus d’eux que des numéros soumis à une routine quotidienne éreintante, que Paul Coeuret décrira également :
« Lever à 5 heures, un passage au lavabo où nous n’avons ni serviette ni savon, simplement un coup d’eau sur la figure pour nous réveiller. Un peu d’eau noire ressemblant à un ersatz de café que l’on boit en vitesse puis à nouveau rassemblement devant le block. Nouvelle attente, et des kapos (sorte de contremaîtres) nous désignent pour effectuer des corvées. Il est 6 heures du matin et jusqu’à midi il va falloir porter des briques dans nos mains. Il y a une construction en route et la main d’œuvre que nous représentons ne coûte pas cher. C’est très fatiguant car il y a 800 mètres à parcourir à chaque fois et il ne faut pas traîner en route car la schlague est un instrument de persuasion très efficace. A midi, une tranche de pain bis avec un morceau de margarine et repos pendant ½ heure. Puis reprise de la corvée jusqu’à 5 heures ½ du soir. Rassemblement à nouveau et nouvel appel pendant 2 heures. C’est vraiment le « marche ou crève » mais c’est la loi du camp. »
Dans leur malheur, les résistants du groupe de Fère-en-Tardenois ont cependant la chance de pouvoir se soutenir dans un premier temps, et même quand des kommandos de travail sont constitués, tout est fait pour rester ensemble, à l’image de Paul Coeuret qui décide de passer par la fenêtre de sa baraque pour rejoindre son groupe affecté au kommando d’Hannover-Stocken le 29 juin 1944. Cependant tous ne parviendront pas à rester ensemble et le groupe sera dispersé dans plusieurs commandos. Paul Coeuret , affecté à l’usine Accumulatoren-Fabrik AG qui fabrique des accumulateurs pour sous-marins, décrira dans ses mémoires la vie dans ce nouveau camp de 1 800 déportés où la fatigue, la maladie et les brimades cohabitent avec les morts presque quotidiennes des hommes. Parmi les membres du groupe de Fère-en-Tardenois encore à ses côtés, Robert Dubois sera le premier à tomber, atteint de dysenterie, le 19 mars 1945. Paul Coeuret, Georges Thunière et Paul Vincent resteront ensemble au kommando Hannover-Stocken jusqu’au 7 avril 1945, date à laquelle le camp sera évacué par suite de l’avance alliée en Allemagne. Pour ces hommes, les marches de la mort allaient commencer, et allaient emporter Georges Thunière, qui tombe d’épuisement le 8 avril 1945 sur le chemin du camp de Bergen-Belsen. Là, une bien funèbre corvée les attend, ainsi que le rapporte Paul Coeuret :
« Nous n’avons pas mangé depuis 2 jours et on nous dit que ceux qui auront été en corvée seront nourris. Mais quelle corvée ! C’est là que nous atteignons le supplice qui va être le nôtre pendant une semaine. Il nous faut aller chercher dans les blocks des milliers de cadavres qui y sont entassés. De suite, nous apprenons que le typhus règne en maître dans ce camp, c’est la raison de toutes ces victimes que nous allons traîner avec des ficelles et emmener jusqu’à des fosses immenses qui sont à 700 ou 800 mètres de là ! C’est vraiment le comble de l’horreur et nous sommes catastrophés de voir tous ces cadavres décharnés. Je peux dire que pour moi, malgré tous les ennuis que j’ai eus avant, c’est la chose la plus affreuse que j’ai connue !!! A midi, on nous donne enfin du pain et une sorte d’eau tiède, cela nous réconforte un peu. »
Survivre, ce seul mot résume le seul et unique but à atteindre en ce printemps 1945 à Bergen-Belsen pour les derniers survivants du groupe de Fère-en-Tardenois. Le 13 avril, c’est au tour de Paul Vincent de succomber sous les yeux de Paul Coeuret , qui sera le seul à voir la libération du kommando de Hannover-Stocken par les troupes britanniques le 15 avril 1944.
Le 2 juin à 6 heures, Paul Coeuret est conduit à l’aérodrome de Celles où il prend un avion pour Le Bourget où il arrive à 18h. Pesant à peine plus de 35 kg, il est pris en charge et transporté à l’hôtel Lutetia à Paris, il se rétablira peu à peu et pourra retrouver sa famille, mais aussi apprendre au fil des mois que peu des membres du groupe de Fère-en-Tardenois avaient survécu à la déportation :
Seuls rescapés du groupe, Paul Coeuret, Albert Bayard et Arsène Lechat seront quant à eux marqués à vie par leur expérience des camps.
Soucieux de faire perdurer la mémoire de leurs camarades disparus dans les camps de concentration nazis et rappeler l’action des résistants de leur groupe, les anciens membres du B.O.A. et les rescapés lancèrent une souscription publique pour ériger un monument sur les lieux où ils furent arrêtés, à Villers-sur-Fère. Le 20 octobre 1946, ce monument est inauguré en leur honneur et en l’honneur de tous les résistants du B.O.A. qui ont participé aux opérations de récupération d’armes et de munitions pour la Libération de la France. Chaque année, le dernier dimanche d’avril, jour du souvenir de la déportation, une grande cérémonie de recueillement permet, en présence des autorités civiles et politiques, des associations d’anciens combattants et des descendants de résistants, d’honorer leur mémoire.
Le 28 avril 2024, à l’occasion de cette cérémonie annuelle, une borne du réseau Aisne Terre de Mémoire mis en place par le Département de l’Aisne a été inaugurée afin de valoriser ce monument, son histoire et celle des hommes qu’il honore.
Publié le 29 aoû 2024 - Mis à jour le
Installé depuis la fin de l’année 1943 au moulin de La Coupille, le maquis de Saint-Algis réceptionne des parachutages et effectue des livraisons d’armes pour de nombreux réseaux de résistance dans l’Aisne, jusqu’à ce qu’il soit attaqué par les troupes allemandes le 7 juillet 1944, alors qu’une partie des maquisards étaient partis réceptionner un parachutage.
Dès 1941, des armes et des munitions sont récupérées et camouflées par les résistants de Thiérache ainsi que des mines et explosifs de l’armée française abandonnés lors des combats de 1940. Comme partout, la Résistance s’organise peu à peu et c’est en novembre 1941 que le docteur Pierre Fresnel, qui habite à Hirson, est contacté afin d’organiser la Résistance dans l’arrondissement de Vervins sous l’égide du réseau « Confrérie Notre-Dame ». Ce réseau dépend alors du Service de Renseignements de la France Libre, qui deviendra plus tard, le Bureau Central de Renseignements et d’Action (B.C.R.A.), et vise à recueillir des renseignements sur les troupes d’occupation allemande et leurs mouvements dans la région. Un mois plus tard, il reçoit la visite de Pierre Pène, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées à Laon qui met alors sur pied l’Organisation Civile et Militaire, et un comité s’organise pour diriger cette organisation en Thiérache. Un agent d’assurance d’Hirson, Jean Merlin, est également chargé par le comité d’organiser la partie militaire du mouvement, et notamment de rechercher des terrains d’atterrissage et de parachutage qui seront ensuite homologués par Londres.
Jusqu’en novembre 1943, le poste de commandement du réseau de Résistance qui s’est tissé en Thiérache est installé à la clinique du docteur Fresnel à Hirson, tandis que les armes et le matériel sont entreposés dans les locaux de la maison Pelle et Merlin, rue Camille Desmoulins et rue du Quatre septembre à Hirson. Malheureusement le 9 décembre 1943, Pierre Fresnel est arrêté, mais libéré trois semaines plus tard et placé sous surveillance, toute reprise de contact avec lui restait dangereuse. Aussi à la fin de l’année 1943, face au besoin de constituer de nouveaux dépôts d’armes, mais aussi de disposer d’un lieu à l’écart pour entraîner des hommes, organiser les parachutages et planifier l’action clandestine, il faut un nouveau poste de commandement au réseau. C’est alors que Georges et Marie-Thérèse Armand, qui habitent à la ferme du Moulin Neuf à Saint-Algis, proposent au docteur Morice Sablon, l’adjoint de Jean Merlin, d’installer un maquis dans un moulin désaffecté dont ils exploitent les terres, au lieu-dit La Coupille, ce qu’accepte ce dernier.
Depuis le moulin de La Coupille sont ainsi préparées plusieurs actions de sabotage en 1943, mais à l’approche du débarquement allié, la Résistance continue de s’organiser en vue de passer à l’action. Au mois de mars 1944, les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont ainsi constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry).
Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de résistants de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages, vise à renforcer l'efficacité de la Résistance en vue de la Libération. Jean Merlin est alors désigné pour prendre la tête du Groupement C, charge à lui de recevoir les ordres du délégué militaire départemental que ce dernier aura lui-même reçu du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., puis de les transmettre aux dix secteurs du Groupement C qui composent l’arrondissement de Vervins.
L’attente des résistants du Groupement C ne sera pas longue, car les 27 mai et 1er juin 1944, des premiers messages d’alerte sont entendus sur les ondes de la B.B.C. : « La Sirène a les cheveux décolorés » et « La Cigale prend le métro », informant les résistants de l’imminence du débarquement à venir, et des mesures à prendre en conséquence. Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans sont en effet élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignements et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Le 5 juin 1944, dès que la décision de lancer le débarquement le lendemain aux premières heures du jour est prise, 210 messages codés sont transmis à la Résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France, mais aussi le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques, le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension, ou encore le plan Rouge, qui signifie que l’insurrection armée de la Résistance doit être déclenchée.
Toutefois, dans l’arrondissement de Vervins, la mise en œuvre des consignes des Alliés pour perturber l’acheminement des renforts allemands vers la Normandie est sérieusement compromise. En effet, le 5 juin, le Docteur Fresnel est à nouveau arrêté à l’Entre-Deux-Bois près d’Etréaupont. Les services de sécurité allemands procèdent à près de 124 arrestations dans l’arrondissement de Vervins, et des chefs de secteurs sont arrêtés. Après quelques jours, ceux qui sont parvenus à passer entre les mailles du filet réussissent à se réorganiser pour mettre en application les différents ordres transmis par le haut commandement allié. Rapidement, les équipes de sabotages se mettent à pied d’œuvre, neutralisant de nombreuses lignes téléphoniques et voies de chemin de fer selon les plans Vert et Violet. En application du plan Tortue, de nombreux crève-pneus sont aussi répandus en de nombreux points des principales routes de l’arrondissement de Vervins, les panneaux indicateurs étant par ailleurs déplacés afin d’accroître la confusion des troupes allemandes.
Depuis le poste de commandement du groupement C du maquis de La Coupille, les missions de parachutage s’organisent vers les différents terrains choisis par le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), structure mise en place par le B.C.R.A. pour superviser l’acheminement et l’exfiltration des agents et du courrier, mais également chargée de réceptionner les parachutages d’armes. Lorsque des parachutages y étaient prévus, des messages radios bien précis étaient diffusés à 12h15, 17h15 et 21h15, ce dernier horaire étant particulièrement déterminant car confirmant le parachutage qui devrait avoir lieu. Dès qu’un parachutage était confirmé, une équipe partait du moulin de La Coupille pour le terrain de parachutage afin d’y effectuer le balisage, et envoyait en morse avec une lampe la lettre correspondant au terrain en direction de l’avion. Ce dernier répondait alors et effectuait des cercles durant quelques minutes tandis que l’équipe au sol mettait en place le dispositif pour indiquer le sens du vent. Aux lumières de confirmation, l’avion lâchait alors ses containers. Afin d’éviter toute confusion, des petits émetteurs-récepteurs « Eureka » seront même employés à partir de l’été 1944 pour que les avions puissent communiquer avec l’équipe au sol. Au total, près de 24 terrains seront ainsi constitués avec un nom de code, même si tous ne serviront pas, et le B.O.A. réalisera plusieurs dizaines de parachutages dans le département de l’Aisne, principalement sous la supervision d’Arnaud Bisson, responsable départemental du B.O.A., lui-même sous les ordres de Pierre Deshayes, qui dirige la Région A englobant la Seine-Inférieure, le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l’Aisne.
Mais à l’approche du débarquement, la chasse aux résistants s’accélère pour les autorités d’occupation allemande, et le chef départemental du B.O.A., Arnaud Bisson, doit quitter son poste de commandement de Saint-Quentin pour se mettre à l’abri avec ses hommes au maquis de La Coupille le 1er juin. Ayant entendu les messages à la B.B.C., des résistants choisissent eux-aussi de rejoindre le maquis, impatients d’être de ceux qui combattraient le moment venu. Le 3 juin, les maquisards de La Coupille sont ainsi rejoints par les gendarmes (et agents du B.O.A.) Edmond Bachimont, Georges Caron et Hector Polvent, qui venaient de déserter de la brigade mixte de Saint-Quentin, accompagnés de Jacques Leblanc. Le 4 juin, Arnaud Bisson et Florent Debuisson se rendent à Chauny au garage Logeon, et y récupère Georges Staveley, aviateur anglais abattu avec son Mosquito dans la région de Boulogne-sur-Mer, qu’ils ramènent au maquis de Saint-Algis. Quelques jours plus tard, Raymond Lobry et Alfred Carpentier, anciens F.T.P. de Guise, les rejoignent, suivis par André Dodart, qui était devenu en décembre 1943 l’adjoint d’Arnaud Bisson pour le sud de l’Aisne, et ils reçoivent même régulièrement la visite de Pierre Deshayes, leur responsable régional, recherché dans le Nord.
Au printemps 1944, ce sont près de quarante-cinq hommes qui vivent de manière intermittente au maquis de La Coupille, dans les fermes environnantes chez plusieurs habitants de Saint-Algis, entre les radios, les équipes de parachutages, de transport et de sabotage, sans compter les agents de liaison. Afin d’accomplir leurs missions, ils disposent de deux camions, d’une camionnette, de 2 véhicules légers et d’un groupe électrogène. Les livraisons d’armes s’activent alors, afin d’équiper les différents groupes de résistants de la région et leur permettre d’effectuer les missions de harcèlement que le haut commandement allié exige d’eux. Dans le courant du mois de juin, les maquisards de La Coupille reçoivent la visite des frères Fortier, résistants B.O.A. du secteur d’Arcy-Sainte-Restitue, qui viennent chercher des armes et des munitions. C’est à l’issue du chargement que la décision sera prise par Arnaud Bisson de faire quelques photos souvenirs. Les résistants du sud de l’Aisne repartiront le lendemain, laissant au maquis le gendarme stagiaire André Droit, de la brigade de Braine.
Malheureusement les opérations clandestines et les parachutages qui s’intensifient éveillent l’attention des Allemands qui renforcent les contrôles routiers. Le 30 juin 1944 dans la soirée, à l’entrée de Sains-Richaumont, face à l’église, Arnaud Bisson tombe sur un barrage routier et une vingtaine de soldats allemands. Ayant à bord de la traction des armes et des munitions, Arnaud Bisson demande alors au chauffeur Florent Debuisson de forcer le barrage, les deux autres passagers, Marc Grether et Désiré Merlin devant ouvrir le feu si nécessaire. La manœuvre réussit, mais les soldats allemands mitraillent la voiture, et une balle blesse mortellement le chef départemental du B.O.A. qui était assis sur le siège passager tandis que Désiré Merlin est lui aussi blessé.
La mort d’Arnaud Bisson sera un choc brutal pour les résistants du moulin de La Coupille. Dès le 1er juillet 1944, Jean Merlin prend le commandement des éléments du B.O.A. au maquis de La Coupille, et les missions des maquisards continuent de manière soutenue, entre les parachutages, les tours de garde, les armes à monter, les chargeurs de Sten et de Bren à garnir de cartouches, les grenades Gammon à charger avec du plastic, et les livraisons. Dans la nuit du 5 au 6 juillet, un parachutage a lieu, et deux avions larguent sept tonnes de matériel qui sont immédiatement ramenées au moulin de La Coupille d’où elles doivent être réparties vers les différents secteurs dans les jours suivants. Dans la nuit du 6 au 7 juillet, le groupe du maquis de La Coupille est à nouveau impliqué sur un autre terrain de parachutage près de Le Sourd, mais qui n’aura pas lieu, tandis qu’un autre est parti avec un camion chargé d’armes, de munitions et d’explosifs pour le secteur de Soissons.
Le 7 juillet, alors que la nuit s’achève, peu d’hommes restent donc au moulin de La Coupille. Vers 9h, une camionnette arrive dans la cour de la ferme, conduite par Pierre Deshayes, chef régional du B.O.A., accompagné de son adjoint Edouard, venus récupérer du matériel et des armes pour remplacer ceux qui ont été détruits lors de l’attaque de son précédent poste de commandement. Alors qu’ils effectuent le chargement et que les opérateurs radio Camille et Marcel Annoepel commencent à envoyer les messages radio habituels, l’alerte est donnée par le maquisard Gaston Baron à 10h15 : il vient d’observer sur les hauteurs de Saint-Algis, à un kilomètre du maquis, quatre voitures contenant quinze soldats allemands, dont les officiers s’affairent autour d’une carte. Il indique par ailleurs qu’il a pu observer que des camions venant d’Hirson, Vervins et Guise convergent vers le village, faisant redouter un encerclement du maquis. Dans les minutes qui suivent, avant que le maquis soit totalement investi, Pierre Deshayes et son adjoint reprennent la route pour s’échapper, emportant avec eux Mme Armand et sa nièce Gisèle lorsqu’ils passent devant la ferme du Moulin Neuf, afin de les mettre en sûreté.
En l’absence du groupe parti réceptionner le parachutage, il ne reste alors que quatorze combattants au sein du maquis de La Coupille pour en assurer la défense : Merlin, les frères Annoepel, Bachimont, Bailly, Caron, Carpentier, Dehamme, Droit, Leblanc, Lobry, Polvent, Sabon et Staveley. Chacun d’entre eux rejoint alors son poste de combat, les deux fusils-mitrailleurs de Bailly et Dehamme sont positionnés ainsi que leurs servants, tandis que Camille et Marcel Annoepel continuent frénétiquement d’émettre avec l’aide de Georges Staveley, l’aviateur anglais, pour signaler à Londres que l’attaque allemande va bientôt commencer.
Le premier à tomber est le gendarme Edmond Bachimont qui avait cru voir arriver d’autres résistants et qui est abattu par des Allemands en civil vers 10h30. Grièvement blessé, il est ramené par ses camarades Polvent et Lobry jusqu’au moulin de La Coupille. Alors que les premiers coups de feu se font entendre, Florent Debuisson, le chauffeur-mécanicien du maquis, resté à la ferme du Moulin Neuf, décide de rejoindre ses camarades, mais est arrêté par les soldats allemands. Peu à peu, plusieurs dizaines de soldats allemands resserrent leur étau et progressent à moins de 100 mètres des bâtiments sous le couvert des haies et les buissons, et seules les grenades lancées par les maquisards les maintiennent à distance. A 11h, les opérateurs-radios cessent d’émettre après avoir envoyé un dernier message sollicitant le soutien de la R.A.F. (deux appareils de la R.A.F. survoleront les lieux une heure plus tard), tandis que les coups de feu s’intensifient, les soldats allemands projetant même des obus de mortiers de petits calibres sur le moulin afin d’en déloger les maquisards.
Après trois quarts d’heure d’un combat inégal, Jean Merlin décide que le moulin de La Coupille doit être abandonné et ordonne la destruction des 8 tonnes de matériel, d’armes et de munitions stockées dans les bâtiments. Tous les documents confidentiels sont détruits puis les opérateurs-radios rejoignent les combattants afin de tenter une sortie avec la poignée de maquisards survivants alors que les balles fusent au milieu des explosions, blessant Jean Merlin et le docteur Sablon. Equipés de leurs armes et de grenades, des groupes de 4 hommes sont constitués : Jean Merlin, les gendarmes Caron et Droit et l’opérateur-radio Marcel Annoepel s’apprêtent à sortir les premiers quand une balle tue ce dernier, puis c’est au tour d’André Droit de tomber, touché au ventre, alors que ses camarades réussissent à s’échapper. Vient ensuite le second groupe, composé du docteur Morice Sablon, de Raymond Lobry, de Alfred Carpentier, de Jacques Leblanc, et d’Hector Polvent, mais en bondissant ce dernier reçoit une balle dans la cuisse droite et doit être abandonné tandis qu’il couvre le repli de ses camarades. Le troisième groupe, composé de Camille Annoepel, de Michel Dehamme, Georges Staveley et Marceau Bailly, réussit à les suivre sans pertes. Au total ce sont dix résistants qui parviennent à s’échapper en suivant le cours de la rivière d’Ambercy, tandis que les troupes allemandes compteront quant à elles douze morts et dix-neuf blessés à l’issue de l’assaut.
Peu après la fin des combats, Florent Debuisson, capturé peu après le début de l’attaque, sera amené au moulin où il pourra voir les corps de ses camarades tués ou sur le point d’être achevés. Torturé et enfermé à la prison de Saint-Quentin, puis transféré au camp de Royallieu le 27 juillet 1944, il sera déporté le 17 août 1944 au camp de concentration de Buchenwald. Affecté au kommando de Gandersheim, il survivra aux marches de la mort vers le camp de Dachau en avril 1945 avant de rentrer en France. Dans les jours qui suivront l’attaque du maquis, la détermination des résistants ne sera pas entamée, et Camille Annoepel, Georges Staveley et Michel Dehamme, qui trouvèrent refuge à Iron chez M. et Mme Mathon, informèrent Pierre Deshayes de leur volonté de continuer la lutte. Quelques semaines plus tard, le PC clandestin du B.O.A. était réinstallé à Saint-Algis, chez Gérard Chauderlier. La répression continuera d’être violente de la part des troupes d’occupation allemande dans la région, et le 31 août 1944, des S.S. ayant été attaqués près de Saint-Algis viendront mettre le feu à sept maisons, assassinant le jeune Gabriel Dudin.
Ainsi que l’écrivit le docteur Pierre Fresnel après la guerre : « Ce temps de la Résistance, il aura sans doute été le plus beau de notre vie. Ce fut le temps de l’amitié. Notre réaction, viscérale, charnelle, de douleur et de honte devant la défaite, de rage devant l’occupant, nous avait soudés les uns aux autres ; et quelles qu’aient été nos origines, nos professions, nos situations, nos options, nous étions des amis, sans réticences. Et au cours des années de la guerre, les dangers communément encourus, les épreuves communément vécues, et les arrestations, et les morts, nous ont unis plus étroitement encore ». La guerre terminée, le temps de la mémoire allait lui succéder, pour se souvenir à la fois d'Arnaud Bisson, abattu le 30 juin 1944, mais aussi de l’opérateur radio Marcel Annoepel et des gendarmes Edmond Bachimont, André Droit et Hector Polvent. Ces deux derniers reçurent la médaille de la Résistance à titre posthume et les anciens résistants du Groupement C et du B.O.A. œuvrèrent rapidement pour ériger un monument en hommage aux victimes du maquis, qui est inauguré le 8 juillet 1945.
Les derniers dimanches du mois de juin, tous les ans depuis 1945, une commémoration a lieu en mémoire des maquisards tombés lors de l’attaque du moulin de La Coupille et en mémoire d’Arnaud Bisson, nommé compagnon de la Libération à titre posthume le 7 juillet 1945.
Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière ce monument, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 23 juin 2024.