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  • TAVAUX-ET-PONTSERICOURT

Publié le 03 sep 2024 - Mis à jour le

30 août 1944, le massacre de Tavaux

A la fin de l’été 1944, talonnée par les avant-gardes de l’armée américaine, l’armée allemande est en plein repli et les accrochages sont nombreux avec les résistants. Le 30 août 1944, à Tavaux, en représailles à un échange de tirs le matin même, 20 civils sont massacrés par des SS tandis que 86 maisons sont incendiées.

Face au repli allemand, la résistance de Tavaux passe à l’action

Depuis le mois de juin 1944, conduits par leur chef Pierre Maujean, les résistants du secteur de Tavaux multiplient les sabotages afin de perturber les mouvements de troupes allemandes vers la Normandie. Cela se traduit par de nombreuses coupures sur les lignes téléphoniques, le barbouillage de panneaux indicateurs afin de les rendre illisibles, et surtout de nombreux et fréquents sabotages de voies ferrées. A la fin du mois d’août 1944, la progression des troupes alliées depuis la Normandie a évolué, et le département de l’Aisne se trouve désormais au cœur du repli allemand. Les restes des unités allemandes tentent en effet de fuir vers la Belgique en évitant les embûches tendues par les groupes de résistants tandis que les éléments avancés de la 3e division blindée américaine traversent le Laonnois. Les ordres que reçoivent les FFI sont alors clairs : la circulaire n° 10 du 6 juillet du chef départemental de la Résistance, le commandant de Sarrazin, appelle au combat contre les troupes allemandes tous les groupes de FFI dès lors que les troupes américaines seraient signalées, afin de leur ouvrir le chemin :

« Quand les troupes alliées seront à moins de 60 km de notre zone et au fur et à mesure que cette distance diminuera, notre action elle-même variera et de forme et d’intensité. Orientée initialement sur les destructions, elle sera dirigée, par la suite un peu plus vers l’aide directe aux troupes alliées puis diminuera beaucoup lorsque nous serons dans la zone de 5 à 10 km en arrière du front (côté allemand) puis brusquement atteindra son maximum avant la jonction aux troupes alliées. Il est évident que cette action sera conditionnée par l’attitude de l’ennemi et qu’en cas de retraite de ce dernier, notre rôle sera beaucoup plus agressif à la condition d’avoir des munitions. »

Mais des armes et des munitions, le groupe de Pierre Maujean en manque. Heureusement, dans la nuit du 26 au 27 août, la Résistance axonaise reçoit un parachutage au Val Saint-Pierre, près de Tavaux. Dans l’après-midi du 27 août, les 12 containers contenant notamment 28 pistolets-mitrailleurs Sten, 6 fusils-mitrailleurs Bren, 36 fusils, 8 400 cartouches pour les Sten et 11 400 cartouches pour les Bren sont répartis entre le secteur de Tavaux et le secteur de Saint-Erme. Le 30 août dans la matinée, ces armes sont nettoyées et rendues opérationnelles par Pierre Maujean et ses hommes, qui sont désormais impatients de les utiliser. Ayant appris que les premiers éléments américains ont atteint Agnicourt-et-Séchelles, à 4 km de Tavaux, le groupe de résistants décide de passer à l’action et se scinde en deux groupes dans le but de rejoindre le village de Saint-Pierremont, afin d’y empêcher la destruction du pont sur la Serre.

Portraits de résistants FFI du secteur de Tavaux en 1944
Portraits de résistants FFI du secteur de Tavaux en 1944


Près du café de la place, la dizaine de résistants sous la conduite de Pierre Maujean croise cependant la route d’un groupe de soldats SS, et un échange de tirs a lieu. A l’issue de cet engagement, un soldat allemand blessé est fait prisonnier et deux autres parviennent à s’enfuir en direction de Marle où ils parviendront à donner l’alerte, non sans avoir mortellement blessé dans leur fuite un résistant, Henri Mourain. Peu de temps après, un camion allemand chargé de fûts d’essence traverse Tavaux en venant de Marle, et se trouve à son tour pris à parti par les résistants, mais réussit à passer. Les accrochages sont alors nombreux dans le secteur, et au même moment, un véhicule allemand venant de Montcornet est aussi la cible des tirs d’un résistant alors qu’il pénètre dans le village. Là-encore, le résultat est mitigé, car si un officier allemand est tué, son chauffeur réussit à fuir.

En fin de matinée, vu le nombre d’incidents ayant eu lieu au sein même du village, ce qui n’était pas prévu, le risque de représailles est alors très élevé pour le village de Tavaux, et leur chef Pierre Maujean ordonne donc à ses hommes de déplacer leur dépôt d’armes et de munitions dans le bois des Chaudriers, à quelques centaines de mètres au nord-est de Tavaux, tandis que des agents de liaison sont envoyés auprès des secteurs F.F.I. voisins afin que des renforts soient envoyés au plus vite.

La « chasse aux terroristes »

Mais ce que redoutaient les résistants finit par arriver : il est 13h30 quand les premiers véhicules blindés allemands, dont trois chars Tigre et deux automitrailleuses, venant de Marle et de Montcornet, encerclent le village de Tavaux, tandis que des soldats SS descendent d’un camion. Ces hommes et ces véhicules appartiennent aux 1. SS-Panzer-Division « Leibstandarte SS Adolf Hitler » et 12. SS-Panzer-Division « Hitlerjugend », dont les reliquats ont été rassemblés en deux Kampfgruppen sous les ordres du SS-Standartenführer Mohnke et du SS-Oberführer Meyer, qui se replient alors vers le nord-est du département, tenant les ponts sur la Serre entre Marle et Montcornet. Les résistants de Tavaux, qui sont alors au bois des Chaudriers, ne peuvent se douter qu’une opération de représailles aveugle est sur le point de commencer, mais après avoir entendu au loin le bruit des explosions, trop faiblement armés, ils décident vers 14h30 de se replier sur la forêt du Val-Saint-Pierre.

La place, ruines de la maison Fournier

Une fois le village investi par les troupes allemandes, l’opération de représailles commence, méthodiquement, les SS cherchant à châtier ceux qu’ils nomment « terroristes ». Les coups de canons commencent, puis les portes et les volets sont enfoncés tandis que résonne le bruit des balles. Surpris par ces explosions, tous les civils qui le peuvent se réfugient alors dans les tranchées creusées à l’arrière des maisons, dans les jardins, en cas d’attaque aérienne. Au même moment, remontant la Grand’Rue, presque toutes les habitations et les fermes sont pillées tandis que les objets les plus combustibles sont rassemblés et arrosés d’essence avant d’être incendiés. Des habitants sont pris en otages et rassemblés dans la maison du percepteur et à la Poste, en face de la mairie de Tavaux. Plus loin dans le village, des SS ivres abattent en pleine rue des vieillards et des enfants et lancent des grenades incendiaires dans les caves. Arrivés rue des Bernats où habite Pierre Maujean, le massacre se poursuit, impitoyable, hommes et femmes sont abattus, dont la femme du chef des résistants de Tavaux, Odette Maujean, et Simone Vie, également épouse d’un résistant.

Odette Maujean

Un résistant resté au village, Arthur Clémensart, parvient à sauver les enfants de Pierre Maujean qui avaient été enfermés à la cave de leur maison, et à empêcher que le feu s’y propage. Ayant rejoint ses camarades, il aura la douloureuse mission d’annoncer le décès de sa femme à Pierre Maujean. Alors qu’il est entre 16h et 17h, le village se consume et les résistants de Tavaux, sachant désormais ce qu’il vient de se passer, veulent retrouver leur famille au plus vite, mais le village reste dangereux. En effet, si les SS quittent Tavaux entre 17h et 18h, il semble que d’autres colonnes allemandes en repli continuent de passer par le village dans la soirée, ce qui incitera d’ailleurs à la prudence les avant-gardes américaines qui se trouvent alors à Montigny-le-Franc. La nuit venue, les Allemands tentent de faire sauter le pont de Pontséricourt tandis que dans les rues de Tavaux encore emplies d’une odeur de brûlé, les survivants tentent prudemment de retrouver leurs proches.

La découverte du massacre de Tavaux

Alertés durant la nuit, les résistants des groupes de Saint-Erme, Sissonne, Boncourt et Clermont-les-Fermes montent à bord de camions et font route pour venir au secours de Tavaux. Le 31 août 1944 vers 13h15, secondés par un blindé américain, entre 150 et 300 résistants F.F.I. arrivent à Pontséricourt et échangent des coups de feu avec des soldats allemands durant un grande partie de la journée, un groupe de soldats épaulés par des chars Tigre tenant encore l’ouest du village autour du château et de l’église. Mais rapidement c’est au docteur Henri Samain, chef du service de santé FFI, et aux brancardiers qui l’accompagnent, de constater l’ampleur du massacre. Ils viennent en aide aux blessés mais ont aussi la douloureuse mission de dresser la liste des victimes, dont voici la transcription :

  1. Madame Caillot Claire, 65 ans, née Lefèvre Henriette, gît à l’entrée de sa cave, pied gauche broyé, crâne défoncé. Il a été établi que ces blessures ont été produites par une grenade.
  2. Madame veuve Carlier, 87 ans, née Mensuelle, balle dans le front. Cette femme s’est mise aux genoux des Allemands en leur disant : « Ne me tuez pas, je suis qu’une pauvre femme ; je ne vous ai pas fait de mal », un coup de revolver a interrompu ses supplications.
  3. Monsieur Oudelet Ernest, 65 ans, balle dans la région lombaire. Blessé le 30, cet homme a pu se traîner dans le coin d’une pâture. Il est mort le 31 au matin sans avoir pu être secouru.
  4. Madame Lalin Mathilde, 80 ans, balle dans la région temporale.
  5. Monsieur Lalin Noël, 40 ans, fils de la précédente. Balle près de l’oreille gauche. Cet homme, manchot, gît au bas des marches d’une petite cave. Pour le sortir plus commodément, un de nos brancardiers attache le bras unique de ce cadavre avec la ceinture qui maintient le pantalon. Le souci de la vérité m’oblige à rectifier une erreur qui a été propagée : les Allemands n’ont pas attaché le bras de Monsieur Lalin avant de le massacrer.
  6. Hurson Jocelyne, 8 ans, balle dans la nuque.
  7. Hurson Roland, 11 ans, balle dans la nuque.
  8. Madame Lefèvre Angèle, née Boin, 57 ans, balle dans la région mastoïdienne droite. Cette femme et les trois enfants (6, 7 et 8) sont serrés les uns contre les autres dans le coin le plus sombre de la cave. L’Allemand qui les assassina, n’a pas « tiré dans le tas » mais il a successivement approché son arme contre la nuque de chacune de ses victimes.
  9. Mme Coquelet Aurelia née Delplanque, 80 ans, balle dans le front et genou droit.
  10. Monsieur Bedoux Pierre, 74 ans, balle dans la région du cœur.
  11. Madame Bedoux Pierre, 70 ans, 2 balles dans la région du cœur.
  12. Madame Vie née Poulet, 34 ans, balle dans le dos, carbonisation étendue de la surface du corps.
  13. Monsieur Rasset Albert, 66 ans, balle dans l’orbite droite, carbonisation étendue de la surface du corps.
  14. Monsieur Clémensart Théophile, 70 ans, balle dans le dos. Monsieur Clémensart a encore dans la main le pain qu’il était en train de manger.
  15. Madame veuve Lebrun née Duchenne, 69 ans, balle dans la tête.
  16. Madame Mennesson, 70 ans, sœur de Monsieur Demonceaux, balle dans la tête et la poitrine, a été ramenée dans la maison par son frère. La maison n’est pas brûlée, hasard incroyable. Monsieur Demonceaux nous explique comment il a échappé au massacre en se cachant dans le fumoir où il s’apprêtait à placer un jambon. Les Allemands sont passés à quelques centimètres de lui sans le voir, il pleure.
  17. Madame Maujean, née Dromain, 30 ans, femme du chef des F.F.I. de Tavaux. Balle sous le maxillaire inférieur, balle dans la cuisse droite, carbonisation étendue de la surface du corps. Cette mère de famille a été assassinée, arrosée d’essence et brûlée sous les yeux de ses cinq enfants. C’est miracle que les enfants n’aient pas été eux-mêmes brûlés vifs.
  18. Chalmet Marcel, 18 ans, balle dans la région thoracique supérieure droite.
  19. Debois Alfred, 46 ans, balles dans la tempe gauche et le thorax.
  20. Madame Milzareck Joséphine, 44 ans, complètement carbonisée.
Madame Trancart devant les ruines du Café de la Place

Averti à Bucy-lès-Pierrepont du massacre, l’abbé Avot, à la demande du docteur Samain, s’occupe des cercueils et prépare une soupe chaude pour les rescapés qui sortent peu à peu de leurs abris. Le lendemain 1er septembre, les cloches de Tavaux résonnent à nouveau afin d’appeler la population encore cachée dans les bois environnants à revenir au village où, dans les ruines encore fumantes, on prépare les obsèques des victimes qui auront lieu le 2 septembre.

 


La mémoire des massacrés de Tavaux

Monument des massacrés de Tavaux

 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la douleur est encore vive pour les habitants de Tavaux, et grâce aux dons et à la solidarité, la vie reprend peu à peu tandis que les maisons sont rebâties au fil des années. Village de la résistance victime de la barbarie nazie, la commune de Tavaux-et-Pontséricourt recevra la Médaille de la Résistance par décret du 31 mars 1947. Soucieux de faire perdurer la mémoire des victimes, ce monument, inauguré le 30 août 1947, leur rend hommage. Depuis 2007, la mention « Fusillés » qui précédait la liste des victimes du massacre du 30 août 1944 a été remplacée par l’inscription « Massacrés ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Créée en 2008, l’Association pour un Mémorial départemental des villages martyrs de l’Aisne œuvre aujourd’hui pour perpétuer le souvenir des victimes du massacre de Tavaux, ainsi que celui de tous les villages qui furent touchés par les exactions nazies dans l’Aisne durant la Seconde Guerre mondiale. Ce Mémorial a pu officiellement voir le jour en 2014 dans l’église Saint-Médard désaffectée de Pontséricourt et y retrace à travers une exposition permanente l’histoire des résistants du secteur, du massacre de Tavaux et des autres villages martyrs de l’Aisne.

Le mémorial des villages martyrs de l'Aisne

Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière le monument des massacrés de Tavaux, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 30 août 2024.

Consultez le témoignage en vidéo, de Madame Georgette Boulande, habitante de Tavaux

©Archives départementales de l’Aisne