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Publié le 03 sep 2024 - Mis à jour le
Le 1er février 1944, le Comité Français de Libération Nationale appelle les réseaux à s’unir pour former les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.).
Dans la perspective du débarquement allié et de la Libération du territoire métropolitain, cette décision vient parachever l’œuvre d’unification et de structuration de la résistance sur le plan militaire en différents groupements, et voit la création du groupement B de l’Aisne.
C’est au mois de mars 1944 que les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont ainsi constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry).
Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanants du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront ainsi combiner l’action des groupes de résistance. Cette nouvelle organisation, qui assure à tous les groupes de recevoir armes, munitions et matériel grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise à renforcer l'efficacité de la résistance en vue de la Libération.
L’arrondissement de Laon voit alors de nombreux réseaux de résistance cohabiter, comme l’Armée Secrète (A.S.), le Noyautage des Administrations Publiques (N.A.P.), le réseau de renseignement Samson ou encore les Francs-Tireurs et Partisans Français (F.T.P.F.) avec notamment le groupe « Guy Môquet » d’Henri Pruvost. A ces réseaux se superposent les mouvements politiques de résistance, avec principalement l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.) et Libé-Nord autour de Lionel Lefèvre, Joseph Rault puis de Robert Cadeau.
A partir de 1942 et principalement 1943, tous ont mené, chacun à leur manière, diverses actions de résistance comme la collecte de renseignements, la diffusion de tracts, les sabotages, la récupération et le camouflage d’armes, mais aussi l’aide aux aviateurs et aux prisonniers évadés de manière générale. En effet, la situation de l’arrondissement de Laon (surtout du secteur Chauny-Tergnier) est particulière durant les premières années de l’occupation. Nœud ferroviaire à la limite entre la zone occupée et la zone interdite, ce secteur est un point de passage très fréquenté par les réfugiés, prisonniers évadés ou aviateurs alliés tombés en territoire occupé, ce qui a conduit à la création de nombreuses filières.
L’homme nommé à la tête du Groupement B est Etienne Dromas (1911-1995). Résistant A.S./O.C.M. d’Ugny-le-Gay, celui-ci avait formé à partir de 1942 plusieurs réseaux de résistance sous le pseudonyme de Camille puis de René, prenant une part active de grande ampleur dans le sauvetage d’aviateurs alliés tombés en zone occupée d’une part (réseau Pat O’Leary, Comète, Bourgogne puis Shelburn), et dans la collecte et le transfert de renseignements vers Londres d’autre part. Dans les semaines qui suivent, Etienne Dromas désigne lui-même ses chefs de secteurs, et tout le Groupement B se structure peu à peu dans tout l’arrondissement de Laon en trois secteurs nommés B1, B2 et B3, avec à leur tête Jean Bruxelle, René Delozanne et Pierre Maujean.
Après des années d’attentes pour certains, des mois passés à recruter les volontaires, accueillir les réfractaires au STO, diffuser des journaux clandestins, récupérer armes et de matériel depuis 1943, les résistants de l’Aisne allaient enfin pouvoir passer à l’action dans le cadre des plans établis par les Alliés.
Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans de mobilisation furent élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Ces différents plans avaient eux-mêmes, au préalable, été approuvés par le général de Gaulle dans son « Instruction concernant l’emploi de la résistance sur le plan militaire au cours des opérations de Libération de la métropole » datée du 16 mai 1944. Le chef du Comité français de Libération Nationale est cependant conscient des capacités réelles de la résistance, et souhaite qu’une action progressive et dosée soit lancée le moment venu, afin d’éviter une insurrection générale qui serait sévèrement et rapidement réprimée par les troupes d’occupation allemande. Cet espoir disparaît toutefois le 2 juin 1944 lorsque le Supreme Headquarters of Allied Expeditionary Force (S.H.A.E.F.), le commandement suprême des troupes alliées en Europe, décide qu’en parallèle du débarquement, tous les plans prévus doivent être déclenchés de manière à semer une confusion généralisée dans les états-majors allemands, quel que soit le prix à payer par la résistance.
Le 5 juin 1944, dès que la décision de lancer le débarquement le lendemain aux premières heures du jour est prise, 210 messages codés sont transmis à la résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France. Deux autres plans sont aussi mis à exécution: le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques et le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension.
Le message le plus important est celui concernant le plan Rouge, qui signifie que l’insurrection armée de la résistance doit être déclenchée. Sur le principe de la guérilla, six zones difficilement accessibles doivent devenir des points de fixation à l’arrière du front allemand : le Morvan, le Massif Central, les Pyrénées, les Alpes, le Jura et les Vosges. Toutefois dès le 10 juin, l’état-major du général Koenig transmettra aux groupements de résistance l’ordre de freiner au maximum les actions de guérilla, ceux-ci n’étant effectivement pas en capacité de combattre pendant des mois en attendant l’arrivée des troupes alliées, et le commandement allié n’ayant pas les moyens ni la volonté de ravitailler en armes et en munitions une résistance dont la valeur combattante est encore, à leurs yeux, sujette à caution.
Dans l’Aisne, dès l’annonce des messages de la B.B.C., les équipes de sabotages se mettent à pied d’œuvre, neutralisant de nombreuses lignes téléphoniques et voies de chemin de fer, selon les plans Vert et Violet. En application du plan Tortue, de nombreux crève-pneus sont répandus sur les principales routes du département, les panneaux indicateurs sont déplacés afin d’accroître la confusion des troupes allemandes. Tous les moyens sont bons pour ralentir l’acheminement des troupes allemandes vers la Normandie. Ainsi, le 18 juin 1944, à Athies, le groupe de résistants locaux se place au passage à niveau de la voie ferrée où un convoi ferroviaire allemand est arrêté, et vendent aux soldats des bouteilles d’alcool méthylique, qui est en réalité un poison…
Le département n’est cependant pas en première ligne et les moyens manquent rapidement, aussi il faudra attendre des parachutages pour que l’action du groupement B soit relancée de manière plus prononcée en juillet et en août 1944. Ainsi, dans la nuit du 19 au 20 juin 1944, un transport d’armes particulièrement périlleux a lieu depuis La Bouteille jusque Chauny, les résistants qui l’exécutent (Chede, Choin, Thuillier et Logeon) forçant un barrage allemand devant l’hôpital de Chauny en tirant sur les sentinelles, avant de camoufler leur cargaison dans une carrière désaffectée de La Neuville-en-Beine. Le 10 juillet, dans le secteur B2 de René Delozanne, un transport d’armes et d’explosifs a également lieu depuis Sons-et-Ronchères vers Coucy-lès-Eppes, afin d’armer les résistants pour les actions futures. Le 9 août, c’est aux Beines, entre Guiscard (60) et Guivry, qu’un parachutage a lieu mais un des deux appareils est abattu par un chasseur de nuit tandis que le 27 août, deux avions effectuent un nouveau parachutage à Béthancourt-en-Vaux. L’Est de l’arrondissement n’est pas non plus en reste, puisque dans la nuit du 26 au 27 août, un important parachutage de 11 containers a lieu au terrain « Sang » dans la forêt du Val-Saint-Pierre près de Tavaux-et-Pontséricourt, et 3,5 tonnes d’armes, de munitions, d’explosifs, de matériel et de billets sont répartis entre René Delozanne pour le secteur B2 et Pierre Maujean pour le secteur B3.
Dès le lendemain du débarquement, la répression allemande se durcit. Le 7 juin, à Coucy-le-Château-Auffrique, deux agents de la Gestapo se faisant passer pour deux membres du groupe d’Hirson, démantelé, réussissent à se faire recevoir par le résistant Paul Gautier. Le soir même, alors qu’ils écoutent la B.B.C., le garage de Paul Gautier est investi par les Allemands. Alors qu’il tente de fuir avec son beau-frère Daniel Lefèvre, ils sont abattus. Etroitement liés par leur situation géographique aux groupes de résistance du secteur de Noyon, les résistants du Groupement B seront aussi particulièrement touchés par l’attaque allemande du maquis des Usages à Crisolles (Oise), le 23 juin 1944, les Allemands multipliant les attaques de maquis durant l’été 1944 (La Coupille dans l’Aisne le 7 juillet 1944, mais aussi dans les départements des Alpes en juillet 1944).
Dans les jours qui précèdent l’arrivée des troupes américaines sur le territoire axonais, aux sabotages de voies ferrées s'ajoutent le démontage de panneaux indicateurs routiers et la pose intensive de crampons crève-pneus. Le 24 août, les voies ferrées et les lignes téléphoniques entre Laon et Reims sont totalement coupées par les F.F.I., interrompant le trafic pendant trois jours. L’annonce de la Libération de Paris, à quelques heures de route de l’Aisne, galvanise les résistants qui redoublent d’efforts pour faciliter l’avancée des troupes alliées.
Le 28 août, à Bourg-et-Comin, les soldats Allemands minent les 3 ponts et mettent le feu à deux d’entre eux avec de la paille et de l’essence. Dans la soirée, le groupe de résistants locaux conduit par un certain Beaumanoir, scaphandrier breton réfractaire au STO, éteint le feu et enlève les mines des ponts alors que les mèches sont déjà allumées, permettant de sauver les ponts et de permettre le passage des chars américains. Dans les jours qui suivent, les secteurs B2 et B3 sont en effet à la manœuvre pour entraver le repli des troupes allemandes et de nombreux accrochages ont lieu. Ce climat ne fait malheureusement qu’attiser la peur des partisans chez les troupes allemandes, et cela conduit à des exactions comme à Tavaux, où après un accrochage avec des résistants sur le secteur B3 dans la matinée du 30 août, une colonne de soldats S.S. des divisions Adolph Hitler et Hitlerjugend venus de Marle et de Montcornet incendie 86 maisons et exécute 20 civils, dont Odette Maujean, l’épouse du chef du secteur B3, Pierre Maujean. Appelés à l’aide, 150 résistants du secteur B2 accourent le 31 août à Tavaux et se heurtent aux Allemands encore présents, libérant le village avant l’arrivée des chars américains en fin de journée, mais ne pouvant que constater le massacre qui venait d’endeuiller Tavaux.
Le 30 août, les interceptions de véhicules allemands par les résistants se multiplient, ainsi que la prise de contrôle des sites stratégiques, comme la centrale électrique de Beautor, avant qu’elle ne soit sabotée par les Allemands en repli. Toutefois quand le rapport de force est trop déséquilibré, les résistants restent prudents. Ainsi les résistants de Travecy se font discrets quand une colonne de 300 soldats allemands suivie d’un char traverse leur village. De même à Condren, où plus d’une centaine de soldats allemands sont positionnés sur le pont du canal de Saint-Quentin, rendant impossible toute intervention des résistants pour empêcher la destruction du pont de l’Oise et du pont sur le canal à Fargniers. De nombreux accrochages ont également lieu autour de Saint-Gobain et Deuillet, et un convoi est attaqué entre Coucy-le-Château et Prémontré. Tout au long de la journée, les résistants servent d’éclaireurs aux troupes américaines et leur indiquent les points de résistance allemands. C’est ainsi que leur progression permet de libérer Laon dans la journée du 30 août.
Malheureusement la Libération compte aussi ses drames, comme celui de la mission Jedburgh « Augustus » composée du major américain John Bonsall, du capitaine français Jean Delviche et du sergent-radio américain Roger Cote, qui sont arrêtés par les Allemands à Barenton-sur-Serre le 30 août. Leur mission était de coordonner l’action des maquis et des réseaux de résistance avec la progression des troupes alliées. Parachutés en civil et avec des faux papiers à Colonfay près de Guise le 15 août 1944 avec 24 containers de matériel, ils avaient été pris en charge par la résistance locale et avaient parcouru tout le département du nord au sud pour accomplir leur mission. Arrêtés dans la nuit à un point de contrôle qu’ils n’avaient pas repéré dans l’obscurité, ils furent immédiatement abattus, probablement par des soldats de la 9e S.S. Panzer-division et de la 116e Panzer-division.
Le 1er septembre, La Fère est libérée par les groupes de F.F.I. du secteur B1 qui multiplient les sabotages sur les routes et interceptent les patrouilles allemandes. Saint-Gobain est libérée également ; des accrochages ont lieu à Deuillet entre soldats allemands en repli et résistants épaulés par quelques soldats américains en reconnaissance, et un officier américain y laissera la vie. Dans la matinée du 2 septembre, les troupes du 5e corps d’armée américain pénètrent dans Chauny désertée par les troupes allemandes. Seul un groupe bien encadré d’une centaine de soldats est signalé aux environs de Villequier-Aumont et les chefs de la Résistance, Etienne Dromas en tête, s’y dirigent alors, et rassemblent tous les groupes disponibles pour encercler le bois de Frières-Faillouël. Des F.F.I., accompagnés d’un officier américain, contraignent ainsi 105 soldats allemands à se rendre, facilitant la libération de Tergnier dans la journée. Dans les jours qui suivent, des combats de nettoyage des trainards de l’armée allemande ont lieu dans tout l’arrondissement de Laon, achevant sa libération définitive.
Après la Libération, tous les F.F.I. resteront mobilisés, assurant la garde des carrefours routiers et des ponts ainsi que la garde des installations militaires et dépôts d’essence. Ils seront également employés pour le maintien de l’ordre et participeront à l’épuration, notamment des municipalités, mais aussi à l’assistance aux familles des F.F.I. tués au cours des combats. Le 22 septembre 1944, ils seront officiellement démobilisés et plusieurs dizaines d’entre eux contractèrent un engagement pour la durée de la guerre au sein de l’armée française. Rassemblés au quartier Drouot de La Fère, ils formèrent le bataillon F.F.I. 5/2, qui combattra aux côtés de la 1ère D.F.L. sur le front d’Alsace puis dans les Alpes. Les F.F.I. du groupement B seront à nouveau mobilisés en décembre 1944 suite à l’attaque allemande dans les Ardennes, afin d’assurer la garde des carrefours et des installations militaires stratégiques, notamment la centrale électrique de Beautor, avant d’être à nouveau démobilisés, leur tâche accomplie.
D’après les documents officiels de liquidation administrative du groupement B conservés au Service Historique de la Défense à Vincennes, ce sont 2 415 résistants F.F.I. qui constituaient, à la Libération, les effectifs du groupement B, sous les ordres de 114 officiers et sous-officiers. Après la Libération, le groupement B des F.F.I. déclarera avoir tué ou blessé 182 soldats allemands et capturé 543 prisonniers, déplorant de son coté 50 combattants F.F.I. tués.
La guerre terminée, les résistants d’hier reprirent le cours de leur vie, sans jamais pouvoir oublier cette période marquante. Porté par les Combattants volontaires de la Résistance (C.V.R.) un projet de monument voit le jour. C’est à l’architecte Maurice Berry (1908-1995) qu’est confié cette lourde tâche. Architecte en chef des Monuments Historiques en charge du département de l’Aisne depuis 1948, ce dernier est alors renommé pour avoir contribué à la restauration de nombreux monuments en France dont les abbayes de Conques (12), Cluny (71) et Tournus (71), la vieille Bourse de Lille (59), mais aussi l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes à Soissons, l’hôtel du Petit-Saint-Vincent à Laon, l’abbaye Saint-Martin à Laon ou encore le cloître des chanoines de la Cathédrale de Laon.
Quant au sculpteur choisi pour réaliser les hauts-reliefs, il s’agit d’André Bizette-Lindet (1906-1998). Grand prix de Rome de sculpture en 1930, élève d’Antoine Injalbert puis de Paul Landowski, on lui doit les figures des portes de bronze du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, mais aussi, dans le même registre que le monument de Chauny, la fresque représentant le Fezzan au sein du mémorial de la France combattante au Mont Valérien (92). Fruit de leur travail, le monument dédié aux Résistants et Déportés du Groupement B est inauguré à Chauny le 9 mai 1965 et honore encore aujourd’hui leur mémoire.
Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et afin de valoriser cette histoire, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 27 mai 2024 à l’occasion de la Journée nationale de la Résistance.